Aurore Helena Woodville

 I want adventure in the great wide somewhere
I want it more than I can tell...

La famille de Lord Woodville avait fait fortune dans le charbon. Des mines et des mines à n'en plus finir... Mais, ce dernier s'était révélé, et ce dès le plus jeune âge, être un grand lunatique. La tête sans cesse dans ses songes, il laissa à des gens de confiance le soin de faire fructifier cette richesse noire. Il avait transmis à sa fille chérie ce goût pour les mystères. Au grand dam de son épouse, Lady Woodville, il fallait bien le reconnaître. Celle-ci s'échinait à apprendre des manières plus dignes de leur rang à cette petite sauvageonne - piano, chant, dessin, sciences, littérature, langues... Rien n'y faisait ! Le charme opérait et la fillette était comme attirée, aimantée par les lieux propices aux élucubrations fantastiques ! Aurore avait donc grandi, tiraillée entre les contes merveilleux et le réel, parfois bien trop cruel. L'homme qui se révélait fasciné par le monde du "Petit Peuple" partit bien trop tôt, abandonnant épouse et enfant sur le chemin de la vie. Le manoir ne résonna plus alors des histoires fantastiques du brave homme et sa veuve interdit toute rêverie qui lui rappelait trop douloureusement son amour, enterré dans la tombe béante. Aurore devint une adolescente discrète et renfermée, une ombre abandonnée dans la grande aura paternelle, entre les murs silencieux du manoir. N'était-ce toutefois pas un sursaut d'étonnement ravi qui la surprenait lorsque son regard tombait sur un homme de petite taille ? Un frisson du plaisir des érudits lorsque la beauté d'une femme l'interpellait trop brutalement ? Un pétillement de fascination lorsqu'elle était certaine d'interprétéer quelque mot d'une langue qui lui était inconnue ? Non, Aurore n'avait jamais oublié, ni parfaitement enterré ces longues heures d'études et de recherches dans les jardins du manoir, à placer précautionneusement ses pas dans ceux laissés par les épaisses semelles des bottes de Lord Woodville...

Une taille fine et menue emprisonnée dans un corset. Un minois laiteux parsemé de quelques tâches de son. Des boucles défaites d'un brun aux reflets cuivrés. Des manières effacés. Un regard d'un bleu délavé tourné vers des pensées insaisissables. Voilà le portrait charmant de la douce Miss Aurore Helena Woodville, héritière d'une colossale fortune, orpheline de père et douce protégée d'une mère aimante. Une ombrelle ou bien un large chapeau se posait parfois sur le tableau délicieux, dissimulant dans l'ombre quelque partie de son visage adolescent. A dix-neuf ans tout juste, elle avait, comme toute jeune fille digne de son rang, quelques prétendants intéressés... auxquels elle-même ne parvenait pas à rendre leurs faveurs. Sempiternelle rêveuse, elle flânait plus qu'elle n'arpentait le monde, sensible et curieuse à tout ce qu'elle découvrait. Il y avait chez elle une immense et touchante douceur, une candeur naïve dont certains auraient bien volontiers profité. Mais, surtout, ce qui caractérisait Aurore, c'était ce besoin latent d'évasion, cette envie pressante d'ailleurs...