James Buchanan Barnes

Laissez-moi vous raconter la tragédie d’un soldat que l’on n’a même pas pu enterrer. D’un homme torturé depuis tant d’années, à qui le choix n’a jamais été laissé. Manipulé, transformé en véritable marionnette, soumis à un tortueux traitement. On raconte souvent des choses sur le soldat, sur cet homme qu’il avait été autrefois. De cette première vie, de ses exploits, de sa bonté et de son dévouement envers son pays. Cet homme bon, qui pourtant possède aujourd’hui à son actif un nombre incalculable de pertes humaines. Cet homme bon, qui pourtant était devenu un monstre. Il est difficile, aujourd’hui, pour un homme comme Bucky, de se reconstruire en ayant conscience de toute la misère qu’il a endurée. L’idée d’être devenu la personne qu’il cherchait à ne pas devenir, de devenir cette chose, cette arme que l’on gardait sous le coude pour les missions les plus dures. De tous ces entraînements encore un peu vagues, et pourtant encore bien ancrés dans ses mouvements, dans ses gestes, ses réflexes. Bucky, c’est cet homme-là. Cet homme brisé, qui devra surmonter soixante-dix ans de torture dont il n’avait même pas conscience à cette époque, qui devra surmonter une culpabilité tenace face aux divers assassinats dont il était coupable. Il ne pouvait pas effacer tant d’années de loyaux services, et même si Steve lui répétait qu’on ne pouvait pas plaindre ses actions puisqu’il n’avait pas conscience de ce qu’il faisait, il ne pouvait s’empêcher de se sentir rongé par cet horrible sentiment. Il ne pouvait s’empêcher d’endosser toute la responsabilité de ses actes, même si c’était HYDRA qui tirait les ficelles. Car oui, il a brisé des vies, lui aussi. Brisé des familles. Et il s’en était réellement rendu compte lorsqu’il affronta Tony Stark, dont les parents avaient été assassinés par le Soldat de l’Hiver. La douleur qu’il pouvait lui dans ses yeux le marqua, et à force de songer, il commença aussi à s’imaginer le nombre de personnes à qui il avait pu décider d’un même destin, au risque de faire verser des larmes, de créer ce sentiment de désespoir, de faire tout simplement du mal à ceux qui allaient rester et pleurer sa victime. C’était pourtant un fait qui n’avait pas semblé le déranger, autrefois. Dénué d’émotions, de sentiments, ôter une vie était aussi simple comme bonjour

 

Je ne suis plus cet homme. Cette chose. Lorsque son esprit s’enveloppait de draps emplis de souvenirs, il ne pouvait s’empêcher de sourire. C’était ce genre de souvenirs, si lointain mais si présents. Sa mémoire, celle de cette première vie qu’on lui avait forcé à oublier. James Buchanan Barnes, qu’il était. L’irréprochable fils, l’exceptionnel soldat, le bon frère. Son charisme et son assurance en faisait tomber plus d’un, si bien qu’il était apprécié de tout le monde. Et celui que l’on appelait Bucky tenait énormément à tout ce petit monde, plus particulièrement à sa famille, et à Steve. Un nouveau sourire. Steve, c’était ce petit bonhomme chétif, faible. Il était, autrefois, bien loin de ce qu’il était aujourd’hui. Pourtant, il semblait tout aussi déterminé que son meilleur ami à renter à l’armée. Un véritable rêve. C’était une façon pour eux de veiller sur les leurs. Mais Steve échoua là où Bucky réussit. Il devait bien admettre que la déception de son ami lui avait arraché le cœur, pourtant il ne lui avait jamais avoué. Et c’est ainsi que Sergent Barnes débuta sur le terrain. Ne pas pouvoir avoir son ami à ses côtés était abominable. Partir à la guerre ensemble, ils en avaient parlé pendant des heures durant, depuis qu’ils étaient gosses. Aussi loin qu’il puisse s’en souvenir, même. Leur envie d’aider autrui avait toujours été présente, et c’est ce qui les avait réunis. Pour Steve, c’était quelque peu différent. Son apparence, son métabolisme ne lui permettait pas de se défendre tout seul, alors c’était Bucky qui venait à le protéger. Dieu sait qu’il était au courant du sentiment d’impuissance de son meilleur ami. Et Dieu sait que Barnes avait souvent rêvé pouvoir le lui enlever, pour qu’il puisse enfin se sentir aussi utile que lui ne le voyait. Mais finalement, même si Steven semblait reconnaissant, Bucky savait que chacun de ses sauvetages ne faisaient que blesser son égo un peu plus encore. Néanmoins, il restait déterminé à aider son ami, quitte à ce que cela le rende furieux. Il lui était hors de question de laisser son meilleur ami dans la difficulté. Mais quelques temps plus tard, c’était un Steve Rogers totalement métamorphosé qu’il rencontra. Et qu’elle fut sa fierté de constater l’homme qu’il était devenu, alors qu’il enfila un costume aux couleurs du drapeau de leur pays pour venir se battre à son tour, suite à sa transformation par le sérum super-soldat. Steve et James. Captain America et Bucky Barnes. Acolytes, partenaires jusqu’au sang, ils enchaînaient les victoires. Du moins, jusqu’à ce qu’ils tombent sur ceux qui allaient devenir leurs véritables Némésis.

Les temps avaient changé, et une véritable bataille contre HYDRA commença. Dieu seul sait si cette bataille n’avait pas déjà commencé bien avant, mais c’est à ce moment-ci qu’ils y prirent part. Et qu’ils n’auraient peut-être pas dus. Car après tout, s’ils n’y étaient pas retournés, ils auraient pu finir leurs jours à Brooklyn, se marier avec une jolie dame et avoir des enfants peut-être. Mais rien de tout ceci n’arriva, et c’était probablement un destin qui ne se prononcerait jamais. Chacun des deux disparurent. Captain America avait disparu avec l’une des gemmes d’infinité au fin fond de l’Antarctique, condamné à passer une bonne partie de sa vie sous une glace persistante. Tandis que Bucky Barnes n’a jamais été retrouvé non plus et, normalement destiné à mourir à la fin de sa chute dans le froid et la neige, fut récupéré et remis sur pieds quelques années plus tard. C’est de cette façon qu’ils se séparèrent, lors d’une bataille finale les opposant à cette vile organisation qu’était l’hydre. On n’entendit plus réellement parler d’eux pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’ils soient enfin officiellement considérés décédés après n’avoir pas pu récupérer leurs corps. On enterra alors des cercueils vides et on jura que leur mémoire ne serait pas oubliée. Et tandis que les musées affichaient petit à petit leurs exploits, Barnes, de son côté, oubliait son identité toute entière, forcé à de multiples lavages de cerveaux. Sa chute ne lui permit pas de garder l’un de ses bras, qui se retrouva rapidement remplacé par une pièce cyborg qu’il ne contrôlait pas réellement. Petit à petit, James Barnes se faisait oublier par son propre hôte, jusqu’à ce qu’il perde sa véritable identité avec ses souvenirs, ses sentiments. Tout ça pour ne laisser qu’une carcasse vide d’émotions. Tout simplement vide. On le combla alors avec divers entraînements, de quoi le former à devenir un super soldat, capable de bien des choses toutes aussi dangereuses les unes des autres, et un programme russe vint remplir son crâne, afin qu’on puisse le contrôler à sa guise. Afin qu’on puisse le manipuler à sa guise. Et il ne protestait pas, il ne pouvait pas. Les concepts même de vie et de mort, de bien et de mal, de jour et de nuit, de blanc et de noir s’étaient emmêlés entre eux pour ne former qu’une seule réalité à laquelle il était forcé à obéir sans broncher.

De cette façon, soixante-dix bonnes années s’écoulaient les unes après les autres. Sept décennies qui en réalité avait passé d’une vitesse fulgurante à ses yeux, tant ses reboot demeuraient réguliers et fréquents. Après chacun de ses missions, on prenait soin de lui laver le cerveau une nouvelle fois, probablement pour éviter de créer du remord ou de la culpabilité par la suite, ou que quelques souvenirs se frayent un chemin jusqu’à sa tête et qu’il ne vienne à se rebeller. Car, avec les années, celui que l’on commença à nommer le Soldat de l’Hiver se forgea une réputation redoutable, devenant de plus en plus important aux yeux d’HYDRA qui ne pouvaient se permettre de perdre une telle arme pareille, bien trop utile à leurs intérêts. Mais ce qui lui fit vraiment ouvrir les yeux, ce fut Steve Rogers. Ce fantôme du passé qui resurgissait de nulle part créa une confusion intense dans l’esprit de Bucky Barnes et du Soldat de l’Hiver, mélangeant ainsi leurs deux vies pour n’en former qu’une qui semblait le troubler encore plus après une énième tentative de lavage de cerveau. Il était sa mission, mais aussi son meilleur ami. Mais il ne savait que choisir. Il tenta au début d’ignorer toutes ces choses qu’il n’avait pas ressenties depuis des années, qu’on lui avait arrachées, ces sentiments et cette mémoire qui semblait lui jouer des tours pour ne se concentrer, comme à son habitude, que sur la cible qu’il devait éliminer. Mais trop intrigué, torturé, il la laissa plutôt tomber et envisagea même de sauver cet inconnu pourtant si familier. C’est de cette étrange façon, que Bucky commençait à se détacher d’HYDRA. Et qu’il commença, surtout, à se souvenir.