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LITTLE WOLF

L’enfant-loup du village

Dans un village reculé d’Écosse, là où même les touristes les plus curieux ne s’aventuraient jamais, une femme apparut un matin d’automne. Elle était incroyablement belle avec son allure élancée et sa peau brun chocolat, sans compter ses iris mordorées qui transperçaient votre âme si vous aviez l’audace de la dévisager trop longtemps. Personne ne sut jamais ni son nom, ni d’où elle venait. Elle avait acheté une vieille bâtisse qu’elle rénova seule, sans demander d’aide à quiconque, et dont elle fit l’u*** droguerie du bourg. Elle se fit rapidement aimer de la population locale, vénérée par les enfants qui ne se lassaient jamais de ses récits de voyage et encensée par les plus anciens pour son savoir-faire en de nombreux domaines, allant des plus petites tâches domestiques jusqu’à la menuiserie. Elle était réservée, aimable, chaleureuse et plus important encore : enceinte de quelques semaines. Elle ne parla jamais du père, mais les rumeurs disaient que c’était son rejet qui l’avait conduite jusqu’ici. Néanmoins elle n’eut pas l’occasion de d’affirmer ou d’infirmer ces on-dit puisqu’elle mourut en couche, laissant derrière elle une petite fille, quelques affaires quelconques et son journal intime. La doyenne du village, Maddie, décréta que l’étrangère méritait d’être enterrée selon leurs traditions et qu’elle élèverait elle-même l’orpheline, baptisée Nabi selon le souhait de sa mère. Elle grandit entourée de gens aimants, passant ses journées à s’amuser près du cours d’eau ou, lorsque la mélancolie frappait, juchée dans l’arbre le plus haut qui lui offrait une vue imprenable sur le village entier. Là elle se saisissait du journal de sa mère -que la doyenne lui avait offert dès qu’elle sut lire- et en examinait chaque page, chaque recoin comme si un message secret pouvait y être dissimulé. Mais il n’en n’était rien. Cela lui permit tout de même d’apprendre que sa génitrice se nommait Djill et que son père, Alan, était un soldat tombé au front. Si elle était d’après Maddie le portrait craché de sa mère, elle devait cependant tenir sa longue crinière orangée et ses tâches de rousseurs d’Alan, d’après les de ions qu’elle en avait lu. Mais en grandissant, elle se découvrit un autre héritage laissé par son père.

La première pleine lune suivant ses douze ans fut tragique pour le chat de Madame Garrett.

Nabi était certes aussi superstitieuse que tous les autres villageois, mais à aucun moment elle n’avait ne serait-ce qu’envisagé l’existence des lunaires, et encore moins qu’elle pouvait en être une. Hors de contrôle cette nuit-là, elle avait dévasté le potager des voisins et on l’avait retrouvée nue, endormie et couverte de sang à côté de la moitié du pauvre chat de Madame Garrett. Si l’orpheline avait voulu s’enfuir, elle fut très vite rattrapée par la doyenne et un conseil eu lieu. Nabi n’était pas responsable, elle pas plus que quiconque n’avait idée de ce qu’elle était. Et comme ils avaient fait de sa mère l’une des leurs Nabi en était aussi, elle bénéficierait donc de leur protection. Alors elle continua de vivre normalement et bien que les relations fussent un peu tendues au début, très vite les choses rentrèrent dans l’ordre. On se renseignait régulièrement, on la surveillait à plusieurs à chaque pleine lune et on la surnomma Little Wolf, la petite louve du village. Même à ses vingt ans, alors qu’elle était une jeune femme resplendissante ayant repris la droguerie de Djill cela resta, et elle était heureuse de cette vie. Elle avait des amis, une grande famille protégeant son secret, et chaque jeudi soir elle apportait un plat préparé avec soin à Madame Garrett. La vieille femme ne lui en voulait pas mais jamais Nabi ne s’était pardonnée la mort du vieux matou. La demoiselle ne s’imaginait pas une autre vie, malheureusement le destin en décida autrement.

Alors qu’elle cueillait des pommes dans l’arrière-cour afin d’en confectionner une tarte, des cris alertèrent la louve. Elle s’empressa de courir jusqu’à la source de ces hurlements mais ne put qu’être confrontée à un épouvantable spectacle : des dizaines d’hommes et de femmes en tenues de cuir, armés jusqu’aux dents, qui tiraient à vue sur tous les habitants. Et dès qu’ils croisèrent son regard, elle sut qu’ils en avaient après elle. Maddie et Madame Garrett débarquèrent sur une espèce de tas de ferraille que certains appelaient un 4x4, lui hurlèrent de monter et l’embarquèrent à toute berzingue sur un chemin de terre alors qu’elle essayait vainement de réfléchir à un plan.  

« Tu n’es pas assez forte pour les vaincre, Nabi. Aucun de nous ne l’est. »

Ses yeux violacés -elle les tenait certainement d’Alan- se posèrent sur celle qui l’avait élevée. Elle était assez intelligente pour comprendre, mais pas assez froide pour retenir ses larmes. Alors que Madame Garrett leur conseillait de s’accrocher tandis qu’elle accélérait, Nabi fondit en larmes dans les bras de Maddie.

« Quoiqu’il advienne, souviens-toi que tu n’es pas responsable de ce massacre ma fille. Tiens, prends ce sac avec toi. Il contient quelques vêtements, un peu de nourriture, le journal de ta mère et toutes les recherches que j’ai effectué ces huit dernières années. Ton père était un Alpha respecté, membre d’une meute puissante. Il semble que leurs ennemis aient été mis au courant de ton existence et souhaitent t’utiliser contre eux. Tu dois fuir, Nabi. »

Madame Garrett arrêta le véhicule. La métisse tenta de protester mais cela était vain, elle le savait. Alors elle descendit, obéissante, embrassa les deux vieilles femmes puis se débarrassa de ses vêtements afin de se transformer. Maddie attacha le sac autour de son encolure, embrassa sa truffe humide une dernière fois et lui somma de partir immédiatement en se retenant d’éclater en sanglots. À la place, elle lui offrit un sourire.

« Tu es l’enfant la plus merveilleuse qu’il m’ait été donné de connaître. Je serai toujours fière de toi. »

Nabi lécha sa main pour la saluer une dernière fois, inclina sa large tête couverte de poils roux en direction de Madame Garrett et détala aussi vite que possible dans la forêt. Les deux femmes savaient qu’elles ne s’en sortiraient pas, mais leur sacrifice permettrait à la louve d’avoir plus de temps pour disparaître.