|
|
|
|
Bonjour/bonsoir et bienvenue dans mon humble demeure.
Si vous êtes sur cette page c'est que vous voulez connaître les anciennes versions d'histoires bien connues.
Alors descendez un peu on va commencer.
La Belle et La Bête (1757)
Il y avait une fois un marchand, qui était extrêmement riche. Il avait six enfants, trois garçons et trois filles ; et comme ce marchand était un homme d'esprit, il n'épargna rien pour l'éducation de ses enfants, et leur donna toutes sortes de maîtres. Ses filles étaient très belles ; mais la cadette surtout se faisait admirer, et on ne l'appelait, quand elle était petite, que la belle enfant ; en sorte que le nom lui en resta : ce qui donna beaucoup de jalousie à ses soeurs. Cette cadette, qui était plus belle que ses soeurs, était aussi meilleure qu'elles. Les deux aînées avaient beaucoup d'orgueil, parce qu'elles étaient riches ; elles faisaient les dames, et ne voulaient pas recevoir les visites des autres filles de marchands ; il leur fallait des gens de qualité pour leur compagnie. Elles allaient tous les jours au bal, à la comédie, à la promenade, et se moquaient de leur cadette, qui employait la plus grande partie de son temps à lire de bons livres. Comme on savait que ces filles étaient fort riches, plusieurs gros marchands les demandèrent en mariage ; mais les deux aînées répondirent, qu'elles ne se marieraient jamais, à moins qu'elles ne trouvassent un duc, ou tout au moins, un comte. La Belle remercia bien honnêtement ceux qui voulaient l'épouser, mais elle leur dit qu'elle était trop jeune, et qu'elle souhaitait de tenir compagnie à son père, pendant quelques années.
Tout d'un coup, le marchand perdit son bien, et il ne lui resta qu'une petite maison de campagne, bien loin de la ville. Il dit en pleurant à ses enfants, qu'il fallait aller demeurer dans cette maison, et qu'en travaillant comme des paysans, ils y pourraient vivre. Ses deux filles aînées répondirent qu'elles ne voulaient pas quitter la ville, et qu'elles avaient plusieurs amants, qui seraient trop heureux de les épouser, quoiqu'elles n'eussent plus de fortune ; les bonnes demoiselles se trompaient : leurs amants ne voulurent plus les regarder, quand elles furent pauvres. Comme personne ne les aimait, à cause de leur fierté, on disait, " elles ne méritent pas qu'on les plaigne ; nous sommes bien aises de voir leur orgueil abaissé ; qu'elles aillent faire les dames, en gardant les moutons ". Mais, en même temps, tout le monde disait, " pour la Belle, nous sommes bien fâchés de son malheur ; c'est une si bonne fille : elle parlait aux pauvres gens avec tant de bonté, elle était si douce, si honnête ". Il y eut même plusieurs gentilshommes qui voulurent l'épouser, quoiqu'elle n'eût pas un sol : mais elle leur dit, qu'elle ne pouvait se résoudre à abandonner son pauvre père dans son malheur, et qu'elle le suivrait à la campagne pour le consoler et lui aider à travailler. La pauvre Belle avait été bien affligée d'abord, de perdre sa fortune, mais elle s'était dit à elle-même, quand je pleurerais bien fort, cela ne me rendra pas mon bien, il faut tâcher d'être heureuse sans fortune. Quand ils furent arrivés à leur maison de campagne, le marchand et ses trois fils s'occupèrent à labourer la terre. La Belle se levait à quatre heures du matin, et se dépêchait de nettoyer la maison, et d'apprêter à dîner pour la famille. Elle eut d'abord beaucoup de peine, car elle n'était pas accoutumée à travailler comme une servante ; mais au bout de deux mois, elle devint plus forte, et la fatigue lui donna une santé parfaite. Quand elle avait fait son ouvrage, elle lisait, elle jouait du clavecin, ou bien, elle chantait en filant. Ses deux soeurs, au contraire, s'ennuyaient à la mort ; elles se levaient à dix heures du matin, se promenaient toute la journée, et s'amusaient à regretter leurs beaux habits et les compagnies.
" Voyez notre cadette, disaient-elles, entre elles, elle a l'âme basse, et est si stupide qu'elle est contente de sa malheureuse situation. "
Le bon marchand ne pensait pas comme ses filles. Il savait que la Belle était plus propre que ses soeurs à briller dans les compagnies. il admirait la vertu de cette jeune fille, et surtout sa patience ; car ses soeurs, non contentes de lui laisser faire tout l'ouvrage de la maison, l'insultaient à tout moment.
Il y avait un an que cette famille vivait dans la solitude, lorsque le marchand reçut une lettre, par laquelle on lui mandait qu'un vaisseau, sur lequel il avait des marchandises, venait d'arriver heureusement. Cette nouvelle pensa tourner la tête à ses deux aînées, qui pensaient qu'à la fin, elles pourraient quitter cette campagne, où elles s'ennuyaient tant ; et quand elles virent leur père prêt à partir, elles le prièrent de leur apporter des robes, des palatines, des coiffures, et toutes sortes de bagatelles. La Belle ne lui demandait rien ; car elle pensait en elle-même, que tout l'argent des marchandises ne suffirait pas pour acheter ce que ses soeurs souhaitaient.
" Tu ne me pries pas de t'acheter quelque chose, lui dit son père.
- Puisque vous avez la bonté de penser à moi, lui dit-elle, je vous prie de m'apporter une rose, car il n'en vient point ici. "
Ce n'est pas que la Belle se souciât d'une rose, mais elle ne voulait pas condamner par son e.xemple la conduite de ses soeurs, qui auraient dit que c'était pour se distinguer, qu'elle ne demandait rien. Le bonhomme partit ; mais quand il fut arrivé, on lui fit un procès pour ses marchandises, et après avoir eu beaucoup de peine, il revint aussi pauvre qu'il était auparavant. Il n'avait plus que trente milles pour arriver à sa maison, et il se réjouissait déjà du plaisir de voir ses enfants ; mais comme il fallait passer un grand bois, avant de trouver sa maison, il se perdit.
Il neigeait horriblement ; le vent était si grand, qu'il le jeta deux fois en bas de son cheval, et la nuit étant venue il pensa qu'il mourrait de faim, ou de froid, ou qu'il serait mangé des loups, qu'il entendait hurler autour de lui. Tout d'un coup, en regardant au bout d'une longue allée d'arbres, il vit une grande lumière, mais qui paraissait bien éloignée. Il marcha de ce côté-là, et vit que cette lumière sortait d'un grand palais, qui était tout illuminé. Le marchand remercia Dieu du secours qu'il lui envoyait, et se hâta d'arriver à ce château ; mais il fut bien surpris de ne trouver personne dans les cours. Son cheval, qui le suivait, voyant une grande écurie ouverte, entra dedans, et ayant trouvé du foin et de l'avoine, le pauvre animal, qui mourait de faim, se jeta dessus avec beaucoup d'avidité. Le marchand l'attacha dans l'écurie, et marcha vers la maison, où il ne trouva personne ; mais étant entré dans une grande salle, il y trouva un bon feu ; et une table chargée de viande, où il n'y avait qu'un couvert. Comme la pluie et la neige l'avaient mouillé jusqu'aux os, il s'approcha du feu pour se sécher, et disait en lui-même, le maître de la maison, ou ses domestiques me pardonneront la liberté que j'ai prise, et sans doute ils viendront bientôt. Il attendit pendant un temps considérable ; mais onze heures ayant sonné, sans qu'il vît personne, il ne put résister à la faim, et prit un poulet, qu'il mangea en deux bouchées, et en tremblant. Il but aussi quelques coups de vin, et devenu plus hardi, il sortit de la salle, et traversa plusieurs grands appartements, magnifiquement meublés. A la fin, il trouva une chambre, où il y avait un bon lit, et comme il était minuit passé, et qu'il était las, il prit le parti de fermer la porte, et de se coucher.
Il était dix heures du matin, quand il se leva le lendemain, et il fut bien surpris de trouver un habit fort propre, à la place du sien, qui était tout gâté. Assurément, dit-il en lui-même, ce palais appartient à quelque bonne fée, qui a eu pitié de ma situation.
Il regarda par la fenêtre, et ne vit plus de neige, mais des berceaux de fleurs qui enchantaient la vue. il rentra dans la grande salle, où il avait soupé la veille, et vit une petite table où il y avait du chocolat.
" Je vous remercie, madame la fée, dit-il tout haut, d'avoir eu la bonté de penser à mon déjeuner. "
Le bonhomme, après avoir pris son chocolat, sortit pour aller chercher son cheval, et comme il passait sous un berceau de roses, il se souvint que la Belle lui en avait demandé, et cueillit une branche, où il y en avait plusieurs.
En même temps, il entendit un grand bruit, et vit venir à lui une bête si horrible, qu'il fut tout prêt de s'évanouir.
" Vous êtes bien ingrat, lui dit la Bête, d'une voix terrible ; je vous ai sauvé la vie, en vous recevant dans mon château, et pour ma peine, vous me volez mes roses, que j'aime mieux que toutes choses au monde. Il faut mourir pour réparer cette faute ; je ne vous donne qu'un quart d'heure pour demander pardon à Dieu. "
Le marchand se jeta à genoux, et dit à la Bête, enjoignant les mains :
" Monseigneur, pardonnez-moi, je ne croyais pas vous offenser, en cueillant une rose pour une de mes filles, qui m'en avait demandé.
- Je ne m'appelle point Monseigneur, répondit le monstre, mais la Bête. Je n'aime pas les compliments, moi, je veux qu'on dise ce que l'on pense ; ainsi, ne croyez pas me toucher par vos flatteries. Mais vous m'avez dit que vous aviez des filles ; je veux bien vous pardonner, à condition qu'une de vos filles vienne volontairement, pour mourir à votre place ; ne me raisonnez pas : partez, et si vos filles refusent de mourir pour vous, jurez que vous reviendrez dans trois mois. "
Le bonhomme n'avait pas dessein de sacrifier une de ses filles à ce vilain monstre ; mais il pensa, au moins, j'aurai le plaisir de les embrasser encore une fois. Il jura donc de revenir, et la Bête lui dit qu'il pouvait partir quand il voudrait ; " mais, ajouta-t-elle, je ne veux pas que tu t'en ailles les mains vides. Retourne dans la chambre où tu as couché, tu y trouveras un grand coffre vide ; tu peux y mettre tout ce qu'il te plaira, je le ferai porter chez toi. " En même temps la Bête se retira, et le bonhomme dit en lui-même, s'il faut que je meure, j'aurai la consolation de laisser du pain à mes pauvres enfants.
Il retourna dans la chambre où il avait couché, et y ayant trouvé une grande quantité de pièces d'or, il remplit le grand coffre, dont la Bête lui avait parlé ; le ferma, et ayant repris son cheval, qu'il retrouva dans l'écurie, il sortit de ce palais avec une tristesse égale à la joie qu'il avait, lorsqu'il y était entré. Son cheval prit de lui-même une des routes de la forêt, et en peu d'heures, le bonhomme arriva dans sa petite maison. Ses enfants se rassemblèrent autour de lui, mais, au lieu d'être sensible à leurs caresses, le marchand se mit à pleurer, en les regardant. Il tenait à la main la branche de roses, qu'il apportait à la Belle : il la lui donna, et lui dit :
" La Belle, prenez ces roses ; elles coûteront bien cher à votre malheureux père " ; et tout de suite, il raconta à sa famille la funeste aventure qui lui était arrivée. A ce récit, ses deux aînées jetèrent de grands cris, et dirent des injures à la Belle, qui ne pleurait point.
" Voyez ce que produit l'orgueil de cette petite créature, disaient-elles ; que ne demandait-elle des ajustements comme nous ; mais non, mademoiselle voulait se distinguer ; elle va causer la mort de notre père, et elle ne pleure pas.
- Cela serait fort inutile, reprit la Belle ; pourquoi pleurerais-je la mort de mon père ? Il ne périra point. Puisque le monstre veut bien accepter une de ses filles, je veux me livrer à toute sa furie, et je me trouve fort heureuse, puisqu'en mourant, j'aurai la joie de sauver mon père, et de lui prouver ma tendresse.
- Non, ma soeur, lui dirent ses trois frères, vous ne mourrez pas, nous irons trouver ce monstre, et nous périrons sous ses coups, si nous ne pouvons le tuer.
- Ne l'espérez pas, mes enfants, leur dit le marchand, la puissance de cette Bête est si grande, qu'il ne me reste aucune espérance de la faire périr. Je suis charmé du bon coeur de la Belle, mais je ne veux pas l'exposer à la mort. Je suis vieux, il ne me reste que peu de temps à vivre, ainsi, je ne perdrai que quelques années de vie, que je ne regrette qu'à cause de vous, mes chers enfants.
- Je vous assure, mon père, lui dit la Belle que vous n'irez pas à ce palais sans moi ; vous ne pouvez m'empêcher de vous suivre. Quoique je sois jeune, je ne suis pas fort attachée à la vie, et j'aime mieux être dévorée par ce monstre, que de mourir du chagrin que me donnerait votre perte. "
On eut beau dire, la Belle voulut absolument partir pour le beau palais, et ses soeurs en étaient charmées, parce que les vertus de cette cadette leur avaient inspiré beaucoup de jalousie. Le marchand était si occupé de la douleur de perdre sa fille, qu'il ne pensait pas au coffre qu'il avait rempli d'or ; mais, aussitôt qu'il se fut enfermé dans sa chambre pour se coucher, il fut bien étonné de le trouver à la ruelle de son lit. Il résolut de ne point dire à ses enfants qu'il était devenu si riche, parce que ses filles auraient voulu retourner à la ville, qu'il était résolu de mourir dans cette campagne ; mais il confia ce secret à la Belle, qui lui apprit, qu'il était venu quelques gentilshommes pendant son absence, et qu'il y en avait deux qui aimaient ses soeurs. Elle pria son père de les marier ; car elle était si bonne qu'elle les aimait, et leur pardonnait de tout son coeur le mal qu'elles lui avaient fait. Ces deux méchantes filles se frottèrent les yeux avec un oignon pour pleurer lorsque la Belle partit avec son père ; mais ses frères pleuraient tout de bon, aussi bien que le marchand : il n'y avait que la Belle qui ne pleurait point, parce qu'elle ne voulait pas augmenter leur douleur.
Le cheval prit la route du palais, et sur le soir, ils l'aperçurent illuminé, comme la première fois. Le cheval fut tout seul à l'écurie, et le bonhomme entra avec sa fille dans la grande salle, où ils trouvèrent une table, magnifiquement servie, avec deux couverts. Le marchand n'avait pas le coeur de manger ; mais Belle, s'efforçant de paraître tranquille, se mit à table, et le servit ; puis elle disait en elle-même : la Bête veut m'engraisser avant de me manger, puisqu'elle me fait si bonne chère. Quand ils eurent soupé, ils entendirent un grand bruit, et le marchand dit adieu à sa pauvre fille en pleurant ; car il pensait que c'était la Bête. Belle ne put s'empêcher de frémir, en voyant cette horrible figure : mais elle se rassura de son mieux, et le monstre lui ayant demandé si c'était de bon coeur qu'elle était venue, elle lui dit, en tremblant, que oui.
" Vous êtes bien bonne, dit la Bête, et je vous suis bien obligée. Bonhomme, partez demain matin, et ne vous avisez jamais de revenir ici. Adieu la Belle.
- Adieu la Bête, répondit-elle, et tout de suite le monstre se retira.
- Ah, ma fille ! dit le marchand, en embrassant la Belle, je suis à demi-mort de frayeur.
- Croyez-moi, laissez-moi ici ; non, mon père, lui dit la Belle avec fermeté, vous partirez demain matin, et vous m'abandonnerez au secours du Ciel ; peut-être aura-t-il pitié de moi. "
Ils furent se coucher, et croyaient ne pas dormir de toute la nuit, mais à peine furent-ils dans leurs lits, que leurs yeux se fermèrent. Pendant son Sommeil, la Belle vit une dame qui lui dit :
" Je suis contente de votre bon coeur, la Belle ; la bonne action que vous faites, en donnant votre vie, pour sauver celle de votre père, ne demeurera point sans récompense. "
La Belle en s'éveillant, raconta ce songe à son père, et quoiqu'il le consolât un peu, cela ne l'empêcha pas de jeter de grands cris, quand il fallut se séparer de sa chère fille.
Lorsqu'il fut parti, la Belle s'assit dans la grande salle, et se mit à pleurer aussi ; mais comme elle avait beaucoup de courage, elle se recommanda à Dieu, et résolut de ne se point chagriner, pour le peu de temps qu'elle avait à vivre ; car elle croyait fermement que la Bête la mangerait le soir. Elle résolut de se promener en attendant, et de visiter ce beau château. Elle ne pouvait s'empêcher d'en admirer la beauté. Mais elle fut bien surprise de trouver une porte, sur laquelle il y avait écrit : Appartement de la Belle. Elle ouvrit cette porte avec précipitation, et elle fut éblouie de la magnificence qui y régnait : mais ce qui frappa le plus sa vue, fut une grande bibliothèque, un clavecin, et plusieurs livres de musique.
" On ne veut pas que je m'ennuie ", dit-elle, tout bas ; elle pensa ensuite, si je n'avais qu'un jour à demeurer ici, on ne m'aurait pas fait une telle provision. Cette pensée ranima son courage. Elle ouvrit la bibliothèque et vit un livre, où il y avait écrit en lettres d'or : Souhaitez, commandez ; vous êtes ici la reine et la maîtresse.
" Hélas ! dit-elle, en soupirant, je ne souhaite rien que de revoir mon pauvre père, et de savoir ce qu'il fait à présent " : elle avait dit cela en elle-même. Quelle fut sa surprise ! en jetant les yeux sur un grand miroir, d'y voir sa maison, où son père arrivait avec un visage extrêmement triste. Ses soeurs venaient au-devant de lui, et malgré les grimaces qu'elles faisaient, pour paraître affligées, la joie qu'elles avaient de la perte de leur soeur, paraissait sur leur visage. Un moment après, tout cela disparut, et la Belle ne put s'empêcher de penser, que la Bête était bien complaisante, et qu'elle n'avait rien à craindre d'elle. A midi, elle trouva la table mise, et pendant son dîner, elle entendit un excellent concert, quoiqu'elle ne vît personne.
Le soir, comme elle allait se mettre à table, elle entendit le bruit que faisait la Bête, et ne put s'empêcher de frémir.
" La Belle, lui dit ce monstre, voulez-vous bien que je vous voie souper ?
- Vous êtes le maître, répondit la Belle, en tremblant.
- Non, répondit la Bête, il n'y a ici de maîtresse que vous. Vous n'avez qu'à me dire de m'en aller, si je vous ennuie ; je sortirai tout de suite. Dites-moi, n'est-ce pas que vous me trouvez bien laid ?
- Cela est vrai, dit la Belle, car je ne sais pas mentir, mais je crois que vous êtes fort bon.
- Vous avez raison, dit le monstre, mais, outre que je suis laid, je n'ai point d'esprit : je sais bien que je ne suis qu'une bête.
- On n'est pas bête, reprit la Belle, quand on croit n'avoir point d'esprit : un sot n'a jamais su cela.
- Mangez donc, la Belle, lui dit le monstre, et tâchez de ne vous point ennuyer dans votre maison ; car tout ceci est à vous ; et j'aurais du chagrin, si vous n'étiez pas contente.
- Vous avez bien de la bonté, dit la Belle. Je vous avoue que je suis bien contente de votre coeur ; quand j'y pense, vous ne me paraissez plus si laid.
- Oh dame, oui, répondit la Bête, j'ai le coeur bon, mais je suis un monstre.
- Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous, dit la Belle, et je vous aime mieux avec votre figure, que ceux qui avec la figure d'hommes, cachent un coeur faux, corrompu, ingrat.
- Si j'avais de l'esprit, reprit la Bête, je vous ferais un grand compliment pour vous remercier, mais je suis un stupide ; et tout ce que je puis vous dire, c'est que je vous suis bien obligé. "
La Belle soupa de bon appétit. Elle n'avait presque plus peur du monstre ; mais elle manqua mourir de frayeur, lorsqu'il lui dit: " La Belle, voulez-vous être ma femme ? "
Elle fut quelque temps sans répondre ; elle avait peur d'exciter la colère du monstre en le refusant elle lui dit pourtant en tremblant :
" Non, la Bête. "
Dans le moment, ce pauvre monstre voulut soupirer, et il fit un sifflement si épouvantable, que tout le palais en retentit : mais Belle fut bientôt rassurée ; car la Bête lui ayant dit tristement, " adieu la Belle ", sortit de la chambre, en se retournant de temps en temps pour la regarder encore. Belle se voyant seule, sentit une grande compassion pour cette pauvre Bête :
" Hélas, disait-elle, c'est bien dommage qu'elle soit si laide, elle est si bonne ! "
Belle passa trois mois dans ce palais avec assez de tranquillité. Tous les soirs, la Bête lui rendait visite, l'entretenait pendant le souper, avec assez de bon sens, mais jamais avec ce qu'on appelle esprit, dans le monde. L'habitude de le voir l'avait accoutumée à sa laideur, et loin de craindre le moment de sa visite, elle regardait souvent à sa montre, pour voir s'il était bientôt neuf heures ; car la Bête ne manquait jamais de venir à cette heure-là. Il n'y avait qu'une chose qui faisait de la peine à la Belle, c'est que le monstre, avant de se coucher, lui demandait toujours si elle voulait être sa femme, et paraissait pénétré de douleur, lorsqu'elle lui disait que non. Elle lui dit un jour :
" Vous me chagrinez, la Bête ; je voudrais pouvoir vous épouser, mais je suis trop sincère, pour vous faire croire que cela arrivera jamais. Je serai toujours votre amie, tâchez de vous contenter de cela.
- Il le faut bien, reprit la Bête ; je me rends justice. Je sais que je suis bien horrible ; mais je vous aime beaucoup; cependant je suis trop heureux de ce que vous voulez bien rester ici ; promettez-moi que vous ne me quitterez jamais. "
La Belle rougit à ces paroles. Elle avait vu dans son miroir, que son père était malade de chagrin, de l'avoir perdue, et elle souhaitait le revoir.
" Je pourrais bien vous promettre, dit-elle à la Bête, de ne vous jamais quitter tout à fait ; mais j'ai tant d'envie de revoir mon père, que je mourrai de douleur, si vous me refusez ce plaisir.
- J'aime mieux mourir moi-même, dit ce monstre, que de vous donner du chagrin. Je vous enverrai chez votre père, vous y resterez, et votre pauvre Bête en mourra de douleur.
- Non, lui dit la Belle, en pleurant, je vous aime trop pour vouloir causer votre mort. Je vous promets de revenir dans huit jours. Vous m'avez fait voir que mes soeurs sont mariées, et que mes frères sont partis pour l'armée. Mon père est tout seul, souffrez que je reste chez lui une semaine.
- Vous y serez demain au matin, dit la Bête mais souvenez-vous de votre promesse. Vous n'aurez qu'à mettre votre bague sur une table en vous couchant, quand vous voudrez revenir. Adieu la Belle. "
La Bête soupira selon sa coutume, en disant ces mots, et la Belle se coucha toute triste de la voir affligée.
Quand elle se réveilla le matin, elle se trouva dans la maison de son père, et ayant sonné une clochette, qui était à côté de son lit, elle vit venir la servante, qui fit un grand cri, en la voyant. Le bonhomme accourut à ce cri, et manqua mourir de joie, en revoyant sa chère fille ; et ils se tinrent embrassés plus d'un quart d'heure. La Belle, après les premiers transports, pensa qu'elle n'avait point d'habits pour se lever ; mais la servante lui dit, qu'elle venait de trouver dans la chambre voisine un grand coffre, plein de robes toutes d'or, garnies de diamants. Belle remercia la bonne Bête de ses attentions ; elle prit la moins riche de ces robes, et dit à la servante de serrer les autres, dont elle voulait faire présent à ses soeurs : mais à peine eut-elle prononcé ces paroles, que le coffre disparut. Son père lui dit que la Bête voulait qu'elle gardât tout cela pour elle, et aussitôt, les robes et le coffre revinrent à la même place. La Belle s'habilla, et pendant ce temps, on fut avertir ses soeurs, qui accoururent avec leurs maris.
Elles étaient toutes deux fort malheureuses. L'aînée avait épousé un gentilhomme, beau comme l'amour; mais il était si amoureux de sa propre figure, qu'il n'était occupé que de cela, depuis le matin jusqu'au soir, et méprisait la beauté de sa femme. La seconde avait épousé un homme, qui avait beaucoup d'esprit ; mais il ne s'en servait que pour faire enrager tout le monde, et sa femme toute la première. Les soeurs de la Belle manquèrent mourir de douleur, quand elles la virent habillée comme une princesse, et plus belle que le jour. Elle eut beau les caresser, rien ne put étouffer leur jalousie, qui augmenta beaucoup, quand elle leur eut conté combien elle était heureuse. Ces deux jalouses descendirent dans le jardin, pour y pleurer tout à leur aise et elles se disaient, pourquoi cette petite créature est-elle plus heureuse que nous ? Ne sommes-nous pas plus aimables qu'elle ?
" Ma soeur, dit l'aînée, il me vient une pensée ; tâchons de l'arrêter ici plus de huit jours, sa sotte Bête se mettra en colère, de ce qu'elle lui aura manqué de parole, et peut-être qu'elle la dévorera.
- Vous avez raison, ma soeur, répondit l'autre. Pour cela, il lui faut faire de grandes caresses. "
Et ayant pris cette résolution, elles remontèrent et firent tant d'amitié à leur soeur, que la Belle en pleura de joie. Quand les huit jours furent passés, les deux soeurs s'arrachèrent les cheveux, et firent tant les affligées de son départ, qu'elle promit de rester encore huit jours.
Cependant Belle se reprochait le chagrin qu'elle allait donner à sa pauvre Bête, qu'elle aimait de tout son coeur, et elle s'ennuyait de ne la plus voir. La dixième nuit qu'elle passa chez son père, elle rêva qu'elle était dans le jardin du palais, et qu'elle voyait la Bête, couchée sur l'herbe, et prête à mourir, qui lui reprochait son ingratitude. La Belle se réveilla en sursaut, et versa des larmes.
" Ne suis-je pas bien méchante, disait-elle, de donner du chagrin à une Bête, qui a pour moi tant de complaisance? Est-ce sa faute, si elle est si laide, et si elle a peu d'esprit ? Elle est bonne, cela vaut mieux que tout le reste. Pourquoi n'ai-je pas voulu l'épouser ? Je serais plus heureuse avec elle, que mes soeurs avec leurs maris. Ce n'est, ni la beauté, ni l'esprit d'un mari, qui rendent une femme contente : c'est la bonté du caractère, la vertu, la complaisance : et la Bête a toutes ces bonnes qualités. Je n'ai point d'amour pour elle ; mais j'ai de l'estime, de l'amitié, et de la reconnaissance. Allons, il ne faut pas la rendre malheureuse ; je me reprocherais toute ma vie mon ingratitude. "
A ces mots, Belle se lève, met sa bague sur la table, et revient se coucher. A peine fut-elle dans son lit, qu'elle s'endormit, et quand elle se réveilla le matin, elle vit avec joie qu'elle était dans le palais de la Bête. Elle s'habilla magnifiquement pour lui plaire, et s'ennuya à mourir toute la journée, en attendant neuf heures du soir ; mais l'horloge eut beau sonner, la Bête ne parut point. La Belle, alors, craignit d'avoir causé sa mort. Elle courut tout le palais, en jetant de grands cris ; elle était au désespoir. Après avoir cherché partout, elle se souvint de son rêve, et courut dans le jardin vers le canal, où elle l'avait vue en dormant. Elle trouva la pauvre Bête étendue sans connaissance, et elle crut qu'elle était morte. Elle se jeta sur son corps, sans avoir horreur de sa figure, et sentant que son coeur battait encore, elle prit de l'eau dans le canal, et lui en jeta sur la tête. La Bête ouvrit les yeux et dit à la Belle :
" Vous avez oublié votre promesse, le chagrin de vous avoir perdue, m'a fait résoudre à me laisser mourir de faim ; mais je meurs content, puisque j'ai le plaisir de vous revoir encore une fois.
- Non, ma chère Bête, vous ne mourrez point, lui dit la Belle, vous vivrez pour devenir mon époux ; dès ce moment je vous donne ma main, et je jure que je ne serai qu'à vous. Hélas, je croyais n'avoir que de l'amitié pour vous, mais la douleur que je sens, me fait voir que je ne pourrais vivre sans vous voir. "
A peine la Belle eut-elle prononcé ces paroles, qu'elle vit le château brillant de lumière, les feux d'artifices, la musique, tout lui annonçait une fête mais toutes ces beautés n'arrêtèrent point sa vue : elle se retourna vers sa chère Bête, dont le danger la faisait frémir. Quelle fut sa surprise ! La Bête avait disparu, et elle ne vit plus à ses pieds qu'un prince plus beau que l'amour, qui la remerciait d'avoir fini son enchantement. Quoique ce prince méritât toute son attention, elle ne put s'empêcher de lui demander où était la Bête.
" Vous la voyez à vos pieds, lui dit le prince. Une méchante fée m'avait condamné à rester sous cette figure jusqu'à ce qu'une belle fille consentît à m'épouser, et elle m'avait défendu de faire paraître mon esprit. Ainsi, il n'y avait que vous dans le monde assez bonne, pour vous laisser toucher à la bonté de mon caractère ; et en vous offrant ma couronne, je ne puis m'acquitter des obligations que je vous ai. "
La Belle, agréablement surprise, donna la main à ce beau prince pour se relever. Ils allèrent ensemble au château, et la Belle manqua mourir de joie, en trouvant dans la grande salle son père, et toute sa famille, que la belle dame, qui lui était apparue en songe, avait transportés au château.
" Belle, lui dit cette dame, qui était une grande fée, venez recevoir la récompense de votre bon choix : vous avez préféré la vertu à la beauté et à l'esprit, vous méritez de trouver toutes ces qualités réunies en une même personne. Vous allez devenir une grande reine : j'espère que le trône ne détruira pas vos vertus. Pour vous, mesdemoiselles, dit la fée aux deux soeurs de Belle, je connais votre coeur, et toute la malice qu'il enferme. Devenez deux statues ; mais conservez toute votre raison sous la pierre qui vous enveloppera. Vous demeurerez à la porte du palais de votre soeur, et je ne vous impose point d'autre peine, que d'être témoins de son bonheur. Vous ne pourrez revenir dans votre premier état, qu'au moment où vous reconnaîtrez vos fautes ; mais j'ai bien peur que vous ne restiez toujours statues. On se corrige de l'orgueil, de la colère, de la gourmandise et de la paresse : mais c'est une espèce de miracle que la conversion d'un coeur méchant et envieux. "
Dans le moment la fée donna un coup de baguette, qui transporta tous ceux qui étaient dans cette salle, dans le royaume du prince. Ses sujets le virent avec joie, et il épousa la Belle, qui vécut avec lui fort longtemps, et dans un bonheur parfait, parce qu'il était fondé sur la vertu.
Le Petit Chaperon Rouge 1870
C'était un femme qui avait fait du pain. Elle dit à sa fille :
– Tu vas porter une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ta grand. Voilà la petite fille partie.
À la croisée de deux chemins, elle rencontra le bzou qui lui dit :
– Où vas-tu ?
– Je porte une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ma grand.
– Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des aiguilles ou celui des épingles ?
– Celui des aiguilles, dit la petite fille.
– Eh bien ! moi, je prends celui des épingles.
La petite fille s'amusa à ramasser des aiguilles.
Et le bzou arriva chez la Mère grand, la tua, mit de sa viande dans l'arche et une bouteille de sang sur la bassie.
La petite fille arriva, frappa à la porte.
– Pousse la porte, dit le bzou. Elle est barrée avec une paille mouillée.
– Bonjour, ma grand, je vous apporte une époigne toute chaude et une bouteille de lait.
– Mets-les dans l'arche, mon enfant. Prends de la viande qui est dedans et une bouteille de vin qui est sur la bassie.
Suivant qu'elle mangeait, il y avait une petite chat.te qui disait :
– Pue !... Sal.ope !... qui mange la chair, qui boit le sang de sa grand.
– Déshabille-toi, mon enfant, dit le bzou, et viens te coucher vers moi.
– Où faut-il mettre mon tablier ?
– Jette-le au feu, mon enfant, tu n'en as plus besoin.
Et pour tous les habits, le corset, la robe, le cotillon, les chausses, elle lui demandait où les mettre.
Et le bzou répondait : "Jette-les au feu, mon enfant, tu n'en as plus besoin."
Quand elle fut couchée, la petite fille dit :
– Oh, ma grand, que vous êtes poilouse !
– C'est pour mieux me réchauffer, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grands ongles que vous avez !
– C'est pour mieux me gratter, mon enfant !
– Oh! ma grand, ces grandes épaules que vous avez !
– C'est pour mieux porter mon fagot de bois, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grandes oreilles que vous avez !
– C'est pour mieux entendre, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grands trous de nez que vous avez !
– C'est pour mieux priser mon tabac, mon enfant !
– Oh! ma grand, cette grande bouche que vous avez !
– C'est pour mieux te manger, mon enfant !
– Oh! ma grand, que j'ai faim d'aller dehors !
– Fais au lit mon enfant !
– Oh non, ma grand, je veux aller dehors.
– Bon, mais pas pour longtemps.
Le bzou lui attacha un fil de laine au pied et la laissa aller. Quand la petite fut dehors, elle fixa le bout du fil à un prunier de la cour.
Le bzou s'impatientait et disait : "Tu fais donc des cordes ? "
Quand il se rendit compte que personne ne lui répondait, il se jeta à bas du lit et vit que la petite était sauvée. Il la poursuivit, mais il arriva à sa maison juste au moment où elle entrait.
La Petite Sirène (1835 version de Handersen)
Au large dans la mer, l'eau est bleue comme les pétales du plus beau bleuet et transparente comme le plus pur cristal; mais elle est si profonde qu'on ne peut y jeter l'ancre et qu'il faudrait mettre l'une sur l'autre bien des tours d'église pour que la dernière émerge à la surface. Tout en bas, les habitants des ondes ont leur demeure.
Mais n'allez pas croire qu'il n'y a là que des fonds de sable nu blanc, non il y pousse les arbres et les plantes les plus étranges dont les tiges et les feuilles sont si souples qu'elles ondulent au moindre mouvement de l'eau. On dirait qu'elles sont vivantes. Tous les poissons, grands et petits, glissent dans les branches comme ici les oiseaux dans l'air.
A l'endroit le plus profond s'élève le château du Roi de la Mer. Les murs en sont de corail et les hautes fenêtres pointues sont faites de l'ambre le plus transparent, mais le toit est en coquillages qui se ferment ou s'ouvrent au passage des courants. L'effet en est féerique car dans chaque coquillage il y a des perles brillantes dont une seule serait un ornement splendide sur la couronne d'une reine.
Le Roi de la Mer était veuf depuis de longues années, sa vieille maman tenait sa maison. C'était une femme d'esprit, mais fière de sa noblesse; elle portait douze huîtres à sa queue, les autres dames de qualité n'ayant droit qu'à six. Elle méritait du reste de grands éloges et cela surtout parce qu'elle aimait infiniment les petites princesses de la mer, filles de son fils. Elles étaient six enfants charmantes, mais la plus jeune était la plus belle de toutes, la peau fine et transparente tel un pétale de rose blanche, les yeux bleus comme l'océan profond ... mais comme toutes les autres, elle n'avait pas de pieds, son corps se terminait en queue de poisson.
Le château était entouré d'un grand jardin aux arbres rouges et bleu sombre, aux fruits rayonnants comme de l'or, les fleurs semblaient de feu, car leurs tiges et leurs pétales pourpres ondulaient comme des flammes. Le sol était fait du sable le plus fin, mais bleu comme le soufre en flammes. Surtout cela planait une étrange lueur bleuâtre, on se serait cru très haut dans l'azur avec le ciel au-dessus et en dessous de soi, plutôt qu'au fond de la mer.
Par temps très calme, on apercevait le soleil comme une fleur de pourpre, dont la corolle irradiait des faisceaux de lumière.
Chaque princesse avait son carré de jardin où elle pouvait bêcher et planter à son gré, l'une donnait à sa corbeille de fleurs la e d'une baleine, l'autre préférait qu'elle figurât une sirène, mais la plus jeune fit la sienne toute ronde comme le soleil et n'y planta que des fleurs éclatantes comme lui.
C'était une singulière enfant, silencieuse et réfléchie. Tandis que ses soeurs ornaient leurs jardinets des objets les plus disparates tombés de navires naufragés, elle ne voulut, en dehors des fleurs rouges comme le soleil de là- haut, qu'une statuette de marbre, un charmant jeune garçon taillé dans une pierre d'une blancheur pure, et échouée, par suite d'un naufrage, au fond de la mer. Elle planta près de la statue un saule pleureur rouge qui grandit à merveille. Elle n'avait pas de plus grande joie que d'entendre parler du monde des humains. La grand-mère devait raconter tout ce qu'elle savait des bateaux et des villes, des hommes et des bêtes et, ce qui l'étonnait le plus, c'est que là- haut, sur la terre, les fleurs eussent un parfum, ce qu'elles n'avaient pas au fond de la mer, et que la forêt y fût verte et que les poissons voltigeant dans les branches chantassent si délicieusement que c'en était un plaisir. C'étaient les oiseaux que la grand-mère appelait poissons, autrement les petites filles ne l'auraient pas comprise, n'ayant jamais vu d'oiseaux.
- Quand vous aurez vos quinze ans, dit la grand-mère, vous aurez la permission de monter à la surface, de vous asseoir au clair de lune sur les rochers et de voir passer les grands vaisseaux qui naviguent et vous verrez les forêts et les villes, vous verrez !!!
Au cours de l'année, l'une des soeurs eut quinze ans et comme elles se suivaient toutes à un an de distance, la plus jeune devait attendre cinq grandes années avant de pouvoir monter du fond de la mer.
Mais chacune promettait aux plus jeunes de leur raconter ce qu'elle avait vu de plus beau dès le premier jour, grand-mère n'en disait jamais assez à leur gré, elles voulaient savoir tant de choses !
Aucune n'était plus impatiente que la plus jeune, justement celle qui avait le plus longtemps à attendre, la silencieuse, la pensive ...
Que de nuits elle passait debout à la fenêtre ouverte, scrutant la sombre eau bleue que les poissons battaient de leurs nageoires et de leur queue. Elle apercevait la lune et les étoiles plus pâles il est vrai à travers l'eau, mais plus grandes aussi qu'à nos yeux. Si parfois un nuage noir glissait au-dessous d'elles, la petite savait que c'était une baleine qui nageait dans la mer, ou encore un navire portant de nombreux hommes, lesquels ne pensaient sûrement pas qu'une adorable petite sirène, là, tout en bas, tendait ses fines mains blanches vers la quille du bateau.
Vint le temps où l'aînée des princesses eut quinze ans et put monter à la surface de la mer.
A son retour, elle avait mille choses à raconter mais le plus grand plaisir, disait-elle, était de s'étendre au clair de lune sur un banc de sable par une mer calme et de voir, tout près de la côte, la grande ville aux lumières scintillantes comme des centaines d'étoiles, d'entendre la musique et tout ce vacarme des voitures et des gens, d'apercevoir tant de tours d'églises et de clochers, d'entendre sonner les cloches. Justement, parce qu'elle ne pouvait y aller, c'était de cela qu'elle avait le plus grand désir. Oh! comme la plus jeune soeur l'écoutait passionnément, et depuis lors, le soir, lorsqu'elle se tenait près de la fenêtre ouverte et regardait en haut à travers l'eau sombre et bleue, elle pensait à la grande ville et à ses rumeurs, et il lui semblait entendre le son des cloches descendant jusqu'à elle.
L'année suivante, il fut permis à la deuxième soeur de monter à la surface et de nager comme elle voudrait. Elle émergea juste au moment du coucher du soleil et ce spectacle lui parut le plus merveilleux. Tout le ciel semblait d'or et les nuages - comment décrire leur splendeur ? - pourpres et violets, ils voguaient au-dessus d'elle, mais, plus rapide qu'eux, comme un long voile blanc, une troupe de cygnes sauvages volaient très bas au-dessus de l'eau vers le soleil qui baissait. Elle avait nagé de ce côté, mais il s'était enfoncé, il avait disparu et la lueur rose s'était éteinte sur la mer et sur les nuages.
L'année suivante, ce fut le tour de la troisième soeur. Elle était la plus hardie de toutes, aussi remonta-t-elle le cours d'un large fleuve qui se jetait dans la mer. Elle vit de jolies collines vertes couvertes de vignes, des châteaux et des fermes apparaissaient au milieu des forêts, elle entendait les oiseaux chanter et le soleil ardent l'obligeait souvent à plonger pour rafraîchir son visage brûlant.
Dans une petite anse, elle rencontra un groupe d'enfants qui couraient tout nus et barbotaient dans l'eau. Elle aurait aimé jouer avec eux, mais ils s'enfuirent effrayés, et un petit animal noir - c'était un chien, mais elle n'en avait jamais vu - aboya si férocement après elle qu'elle prit peur et nagea vers le large.
La quatrième n'était pas si téméraire, elle resta au large et raconta que c'était là précisément le plus beau. On voyait à des lieues autour de soi et le ciel, au-dessus, semblait une grande cloche de verre. Elle avait bien vu des navires, mais de très loin, ils ressemblaient à de grandes mouettes, les dauphins avaient fait des culbutes et les immenses baleines avaient fait jaillir l'eau de leurs narines, des centaines de jets d'eau.
Vint enfin le tour de la cinquième soeur. Son anniversaire se trouvait en hiver, elle vit ce que les autres n'avaient pas vu. La mer était toute verte, de- ci de-là flottaient de grands icebergs dont chacun avait l'air d'une perle.
Elle était montée sur l'un d'eux et tous les voiliers s'écartaient effrayés de l'endroit où elle était assise, ses longs cheveux flottant au vent, mais vers le soir les nuages obscurcirent le ciel, il y eut des éclairs et du tonnerre, la mer noire élevait très haut les blocs de glace scintillant dans le zigzag de la foudre. Sur tous les bateaux, on carguait les voiles dans l'angoisse et l'inquiétude, mais elle, assise sur l'iceberg flottant, regardait la lame bleue de l'éclair tomber dans la mer un instant illuminée.
La première fois que l'une des soeurs émergeait à la surface de la mer, elle était toujours enchantée de la beauté, de la nouveauté du spectacle, mais, devenues des filles adultes, lorsqu'elles étaient libres d'y remonter comme elles le voulaient, cela leur devenait indifférent, elles regrettaient leur foyer et, au bout d'un mois, elles disaient que le fond de la mer c'était plus beau et qu'on était si bien chez soi !
Lorsque le soir les soeurs, se tenant par le bras, montaient à travers l'eau profonde, la petite dernière restait toute seule et les suivait des yeux ; elle aurait voulu pleurer, mais les sirènes n'ont pas de larmes et n'en souffrent que davantage.
- Hélas ! que n'ai-je quinze ans ! soupirait-elle. Je sais que moi j'aimerais le monde de là-haut et les hommes qui y construisent leurs demeures.
- Eh bien, tu vas échapper à notre autorité, lui dit sa grand-mère, la vieille reine douairière. Viens, que je te pare comme tes soeurs. Elle mit sur ses cheveux une couronne de lys blancs dont chaque pétale était une demi-perle et elle lui fit attacher huit huîtres à sa queue pour marquer sa haute naissance.
- Cela fait mal, dit la petite.
- Il faut souffrir pour être belle, dit la vieille.
Oh! que la petite aurait aimé secouer d'elle toutes ces parures et déposer cette lourde couronne! Les fleurs rouges de son jardin lui seyaient mille fois mieux, mais elle n'osait pas à présent en changer.
-Au revoir, dit-elle, en s'élevant aussi légère et brillante qu'une bulle à travers les eaux.
Le soleil venait de se coucher lorsqu'elle sortit sa tête à la surface, mais les nuages portaient encore son reflet de rose et d'or et, dans l'atmosphère tendre, scintillait l'étoile du soir, si douce et si belle! L'air était pur et frais, et la mer sans un pli.
Un grand navire à trois mâts se trouvait là, une seule voile tendue, car il n'y avait pas le moindre souffle de vent, et tous à la ronde sur les cordages et les vergues, les matelots étaient assis. On faisait de la musique, on chantait, et lorsque le soir s'assombrit, on alluma des centaines de lumières de couleurs diverses. On eût dit que flottaient dans l'air les drapeaux de toutes les nations.
La petite sirène nagea jusqu'à la fenêtre du salon du navire et, chaque fois qu'une vague la soulevait, elle apercevait à travers les vitres transparentes une réunion de personnes en grande toilette. Le plus beau de tous était un jeune prince aux yeux noirs ne paraissant guère plus de seize ans. C'était son anniversaire, c'est pourquoi il y avait grande fête.
Les marins dansaient sur le pont et lorsque Le jeune prince y apparut, des centaines de fusées montèrent vers le ciel et éclatèrent en éclairant comme en plein jour. La petite sirène en fut tout effrayée et replongea dans l'eau, mais elle releva bien vite de nouveau la tête et il lui parut alors que toutes les étoiles du ciel tombaient sur elle. Jamais elle n'avait vu pareille magie embrasée. De grands soleils flamboyants tournoyaient, des poissons de feu s'élançaient dans l'air bleu et la mer paisible réfléchissait toutes ces lumières. Sur le navire, il faisait si clair qu'on pouvait voir le moindre cordage et naturellement les personnes. Que le jeune prince était beau, il serrait les mains à la ronde, tandis que la musique s'élevait dans la belle nuit !
Il se faisait tard mais la petite sirène ne pouvait détacher ses regards du bateau ni du beau prince. Les lumières colorées s'éteignirent, plus de fusées dans l'air, plus de canons, seulement, dans le plus profond de l'eau un sourd grondement. Elle flottait sur l'eau et les vagues la balançaient, en sorte qu'elle voyait l'intérieur du salon. Le navire prenait de la vitesse, l'une après l'autre on larguait les voiles, la mer devenait houleuse, de gros nuages parurent, des éclairs sillonnèrent au loin le ciel. Il allait faire un temps épouvantable ! Alors, vite les matelots replièrent les voiles. Le grand navire roulait dans une course folle sur la mer démontée, les vagues, en hautes montagnes noires, déferlaient sur le grand mât comme pour l'abattre, le bateau plongeait comme un cygne entre les lames et s'élevait ensuite sur elles.
Les marins, eux, si la petite sirène s'amusait de cette course, semblaient ne pas la goûter, le navire craquait de toutes parts, les épais cordages ployaient sous les coups. La mer attaquait. Bientôt le mât se brisa par le milieu comme un simple roseau, le bateau prit de la bande, l'eau envahit la cale.
Alors seulement la petite sirène comprit qu'il y avait danger, elle devait elle- même se garder des poutres et des épaves tourbillonnant dans l'eau.
Un instant tout fut si noir qu'elle ne vit plus rien et, tout à coup, le temps d'un éclair, elle les aperçut tous sur le pont. Chacun se sauvait comme il pouvait. C'était le jeune prince qu'elle cherchait du regard et, lorsque le bateau s'entrouvrit, elle le vit s'enfoncer dans la mer profonde.
Elle en eut d'abord de la joie à la pensée qu'il descendait chez elle, mais ensuite elle se souvint que les hommes ne peuvent vivre dans l'eau et qu'il ne pourrait atteindre que mort le château de son père.
Non ! il ne fallait pas qu'il mourût ! Elle nagea au milieu des épaves qui pouvaient l'écraser, plongea profondément puis remonta très haut au milieu des vagues, et enfin elle approcha le prince. Il n'avait presque plus la force de nager, ses bras et ses jambes déjà s'immobilisaient, ses beaux yeux se fermaient, il serait mort sans la petite sirène.
Quand vint le matin, la tempête s'était apaisée, pas le moindre débris du bateau n'était en vue; le soleil se leva, rouge et étincelant et semblant ranimer les joues du prince, mais ses yeux restaient clos. La petite sirène déposa un baisé sur son beau front élevé et repoussa ses cheveux ruisselants.
Elle voyait maintenant devant elle la terre ferme aux hautes montagnes bleues couvertes de neige, aux belles forêts vertes descendant jusqu'à la côte. Une église ou un cloître s'élevait là - elle ne savait au juste, mais un bâtiment.
Des citrons et des oranges poussaient dans le jardin et devant le portail se dressaient des palmiers. La mer creusait là une petite crique à l'eau parfaitement calme, mais très profonde, baignant un rivage rocheux couvert d'un sable blanc très fin. Elle nagea jusque-là avec le beau prince, le déposa sur le sable en ayant soin de relever sa tête sous les chauds rayons du soleil.
Les cloches se mirent à sonner dans le grand édifice blanc et des jeunes filles traversèrent le jardin. Alors la petite sirène s'éloigna à la nage et se cacha derrière quelque haut récif émergeant de l'eau, elle couvrit d'écume ses cheveux et sa gorge pour passer inaperçue et se mit à observer qui allait venir vers le pauvre prince.
Une jeune fille ne tarda pas à s'approcher, elle eut d'abord grand-peur, mais un instant seulement, puis elle courut chercher du monde. La petite sirène vit le prince revenir à lui, il sourit à tous à la ronde, mais pas à elle, il ne savait pas qu'elle l'avait sauvé. Elle en eut grand-peine et lorsque le prince eut été porté dans le grand bâtiment, elle plongea désespérée et retourna chez elle au palais de son père.
Elle avait toujours été silencieuse et pensive, elle le devint bien davantage. Ses soeurs lui demandèrent ce qu'elle avait vu là-haut, mais elle ne raconta rien.
Bien souvent le soir et le matin elle montait jusqu'à la place où elle avait laissé le prince. Elle vit mûrir les fruits du jardin et elle les vit cueillir, elle vit la neige fondre sur les hautes montagnes, mais le prince, elle ne le vit pas, et elle retournait chez elle toujours plus désespérée.
A la fin elle n'y tint plus et se confia à l'une de ses soeurs. Aussitôt les autres furent au courant, mais elles seulement et deux ou trois autres sirènes qui ne le répétèrent qu'à leurs amies les plus intimes. L'une d'elles savait qui était le prince, elle avait vu aussi la fête à bord, elle savait d'où il était, où se trouvait son royaume.
- Viens, petite soeur, dirent les autres princesses.
Et, s'enlaçant, elles montèrent en une longue chaîne vers la côte où s'élevait le château du prince.
Par les vitres claires des hautes fenêtres on voyait les salons magnifiques où pendaient de riches rideaux de soie et de précieuses portières. Les murs s'ornaient, pour le plaisir des yeux, de grandes peintures. Dans la plus grande salle chantait un jet d'eau jaillissant très haut vers la verrière du plafond.
Elle savait maintenant où il habitait et elle revint souvent, le soir et la nuit. Elle s'avançait dans l'eau bien plus près du rivage qu'aucune de ses soeurs n'avait osé le faire, oui, elle entra même dans l'étroit canal passant sous le balcon de marbre qui jetait une longue ombre sur l'eau et là elle restait à regarder le jeune prince qui se croyait seul au clair de lune.
Bien des nuits, lorsque les pêcheurs étaient en mer avec leurs torches, elle les entendit dire du bien du jeune prince, elle se réjouissait de lui avoir sauvé la vie lorsqu'il roulait à demi mort dans les vagues. Elle songeait au poids de sa tête sur sa jeune poitrine et de quels fervents baisés elle l'avait couvat. Lui ne savait rien de tout cela, il ne pouvait même pas rêver d'elle.
De plus en plus elle en venait à chérir les humains, de plus en plus elle désirait pouvoir monter parmi eux, leur monde, pensait-elle, était bien plus vaste que le sien. Ne pouvaient-ils pas sur leurs bateaux sillonner les mers, escalader les montagnes bien au-dessus des nuages et les pays qu'ils possédaient ne s'étendaient-ils pas en forêts et champs bien au-delà de ce que ses yeux pouvaient saisir ?
Elle voulait savoir tant de choses pour lesquelles ses soeurs n'avaient pas toujours de réponses, c'est pourquoi elle interrogea sa vieille grand-mère, bien in ée sur le monde d'en haut, comme elle appelait fort justement les pays au-dessus de la mer.
- Si les hommes ne se noient pas, demandait la petite sirène, peuvent-ils vivre toujours et ne meurent-ils pas comme nous autres ici au fond de la mer ?
- Si, dit la vieille, il leur faut mourir aussi et la durée de leur vie est même plus courte que la nôtre. Nous pouvons atteindre trois cents ans, mais lorsque nous cessons d'exister ici nous devenons écume sur les flots, sans même une tombe parmi ceux que nous aimons. Nous n'avons pas d'âme immortelle, nous ne reprenons jamais vie, pareils au roseau vert qui, une fois coupé, ne reverdit jamais.
Les hommes au contraire ont une âme qui vit éternellement, qui vit lorsque leur corps est retourné en poussière. Elle s'élève dans l'air limpide jusqu'aux étoiles scintillantes.
De même que nous émergeons de la mer pour voir les pays des hommes, ils montent vers des pays inconnus et pleins de délices que nous ne pourrons voir jamais.
- Pourquoi n'avons-nous pas une âme éternelle ? dit la petite, attristée ; je donnerais les centaines d'années que j'ai à vivre pour devenir un seul jour un être humain et avoir part ensuite au monde céleste !
- Ne pense pas à tout cela, dit la vieille, nous vivons beaucoup mieux et sommes bien plus heureux que les hommes là-haut.
- Donc, il faudra que je meure et flotte comme écume sur la mer et n'entende jamais plus la musique des vagues, ne voit plus les fleurs ravissantes et le rouge soleil. Ne puis-je rien faire pour gagner une vie éternelle ?
- Non, dit la vieille, à moins que tu sois si chère à un homme que tu sois pour lui plus que père et mère, qu'il s'attache à toi de toutes ses pensées, de tout son amour, qu'il fasse par un prêtre mettre sa main droite dans la tienne en te promettant fidélité ici-bas et dans l'éternité. Alors son âme glisserait dans ton corps et tu aurais part au bonheur humain. Il te donnerait une âme et conserverait la sienne. Mais cela ne peut jamais arriver. Ce qui est ravissant ici dans la mer, ta queue de poisson, il la trouve très laide là-haut sur la terre. Ils n'y entendent rien, pour être beau, il leur faut avoir deux grossières colonnes qu'ils appellent des jambes.
La petite sirène soupira et considéra sa queue de poisson avec désespoir.
- Allons, un peu de gaieté, dit la vieille, nous avons trois cents ans pour sauter et danser, c'est un bon laps de temps. Ce soir il y a bal à la cour. Il sera toujours temps de sombrer dans le néant.
Ce bal fut, il est vrai, splendide, comme on n'en peut jamais voir sur la terre. Les murs et le plafond, dans la grande salle, étaient d'un verre épais, mais clair. Plusieurs centaines de coquilles roses et vert pré étaient rangées de chaque côté et jetaient une intense clarté de feu bleue qui illuminait toute la salle et brillait à travers les murs de sorte que la mer, au-dehors, en était tout illuminée. Les poissons innombrables, grands et petits, nageaient contre les murs de verre, luisants d'écailles pourpre ou étincelants comme l'argent et l'or.
Au travers de la salle coulait un large fleuve sur lequel dansaient tritons et sirènes au son de leur propre chant délicieux. La voix de la petite sirène était la plus jolie de toutes, on l'applaudissait et son coeur en fut un instant éclairé de joie car elle savait qu'elle avait la plus belle voix sur terre et sous l'onde.
Mais très vite elle se reprit à penser au monde au-dessus d'elle, elle ne pouvait oublier le beau prince ni son propre chagrin de ne pas avoir comme lui une âme immortelle. C'est pourquoi elle se glissa hors du château de son père et, tandis que là tout était chants et gaieté, elle s'assit, désespérée, dans son petit jardin. Soudain elle entendit le son d'un cor venant vers elle à travers l'eau.
- Il s'embarque sans doute là-haut maintenant, celui que j'aime plus que père et mère, celui vers lequel vont toutes mes pensées et dans la main de qui je mettrais tout le bonheur de ma vie. J'oserais tout pour les gagner, lui et une âme immortelle. Pendant que mes soeurs dansent dans le château de mon père, j'irai chez la sorcière marine, elle m'a toujours fait si peur, mais peut-être pourra-t-elle me conseiller et m'aider!
Alors la petite sirène sortit de son jardin et nagea vers les tourbillons mugissants derrière lesquels habitait la sorcière. Elle n'avait jamais été de ce côté où ne poussait aucune fleur, aucune herbe marine, il n'y avait là rien qu'un fond de sable gris et nu s'étendant jusqu'au gouffre. L'eau y bruissait comme une roue de moulin, tourbillonnait et arrachait tout ce qu'elle pouvait atteindre et l'entraînait vers l'abîme. Il fallait à la petite traverser tous ces terribles tourbillons pour arriver au quartier où habitait la sorcière, et sur un long trajet il fallait passer au-dessus de vases chaudes et bouillonnantes que la sorcière appelait sa tourbière. Au-delà s'élevait sa maison au milieu d'une étrange forêt. Les arbres et les buissons étaient des polypes, mi-animaux mi-plantes, ils avaient l'air de serpents aux centaines de têtes sorties de terre. Toutes les branches étaient des bras, longs et visqueux, aux doigts souples comme des vers et leurs anneaux remuaient de la racine à la pointe. Ils s'enroulaient autour de tout ce qu'ils pouvaient saisir dans la mer et ne lâchaient jamais prise.
Debout dans la forêt la petite sirène s'arrêta tout effrayée, son coeur battait d'angoisse et elle fut sur le point de s'en retourner, mais elle pensa au prince, à l'âme humaine et elle reprit courage. Elle enroula, bien serrés autour de sa tête, ses longs cheveux flottants pour ne pas donner prise aux polypes, croisa ses mains sur sa poitrine et s'élança comme le poisson peut voler à travers l'eau, au milieu des hideux polypes qui étendaient vers elle leurs bras et leurs doigts.
Elle arriva dans la forêt à un espace visqueux où s'ébattaient de grandes couleuvres d'eau montrant des ventres jaunâtres, affreux et gras. Au milieu de cette place s'élevait une maison construite en ossements humains. La sorcière y était assise et donnait à manger à un crapaud sur ses lèvres, comme on donne du sucre à un canari.
- Je sais bien ce que tu veux, dit la sorcière, et c'est bien bête de ta part ! Mais ta volonté sera faite car elle t'apportera le malheur, ma charmante princesse. Tu voudrais te débarrasser de ta queue de poisson et avoir à sa place deux moignons pour marcher comme le font les hommes afin que le jeune prince s'éprenne de toi, que tu puisses l'avoir, en même temps qu'une âme immortelle. A cet instant, la sorcière éclata d'un rire si bruyant et si hideux que le crapaud et les couleuvres tombèrent à terre et grouillèrent.
- Tu viens juste au bon moment, ajouta-t-elle, demain matin, au lever du soleil, je n'aurais plus pu t'aider avant une année entière. Je vais te préparer un breuvage avec lequel tu nageras, avant le lever du jour, jusqu'à la côte et là, assise sur la grève, tu le boiras. Alors ta queue se divisera et se rétrécira j usqu'à devenir ce que les hommes appellent deux jolies jambes, mais cela fait mal, tu souffriras comme si la lame d'une épée te traversait. Tous, en te voyant, diront que tu es la plus ravissante enfant des hommes qu'ils aient jamais vue. Tu garderas ta démarche ailée, nulle danseuse n'aura ta légèreté, mais chaque pas que tu feras sera comme si tu marchais sur un couteau effilé qui ferait couler ton sang. Si tu veux souffrir tout cela, je t'aiderai.
- Oui, dit la petite sirène d'une voix tremblante en pensant au prince et à son âme immortelle.
- Mais n'oublie pas, dit la sorcière, que lorsque tu auras une apparence humaine, tu ne pourras jamais redevenir sirène, jamais redescendre auprès de tes soeurs dans le palais de ton père. Et si tu ne gagnes pas l'amour du prince au point qu'il oublie pour toi son père et sa mère, qu'il s'attache à toi de toutes ses pensées et demande au pasteur d'unir vos mains afin que vous soyez mari et femme, alors tu n'auras jamais une âme immortelle. Le lendemain matin du jour où il en épouserait une autre, ton coeur se briserait et tu ne serais plus qu'écume sur la mer.
- Je le veux, dit la petite sirène, pâle comme une morte.
- Mais moi, il faut aussi me payer, dit la sorcière, et ce n'est pas peu de chose que je te demande. Tu as la plus jolie voix de toutes ici-bas et tu crois sans doute grâce à elle ensorceler ton prince, mais cette voix, il faut me la donner. Le meilleur de ce que tu possèdes, il me le faut pour mon précieux breuvage ! Moi, j'y mets de mon sang afin qu'il soit coupant comme une lame à deux tranchants.
- Mais si tu prends ma voix, dit la petite sirène, que me restera-t-il ?
- Ta e ravissante, ta démarche ailée et le langage de tes yeux, c'est assez pour séduire un coeur d'homme. Allons, as-tu déjà perdu courage ? Tends ta jolie langue, afin que je la coupe pour me payer et je te donnerai le philtre tout puissant.
- Qu'il en soit ainsi, dit la petite sirène, et la sorcière mit son chaudron sur le feu pour faire cuire la drogue magique.
- La propreté est une bonne chose, dit-elle en récurant le chaudron avec les couleuvres dont elle avait fait un noeud.
Elle s'égratigna le sein et laissa couler son sang épais et noir. La vapeur s'élevait en silhouettes étranges, terrifiantes. A chaque instant la sorcière jetait quelque chose dans le chaudron et la mixture se mit à bouillir, on eût cru entendre pleurer un crocodile. Enfin le philtre fut à point, il était clair comme l'eau la plus pure !
- Voilà, dit la sorcière et elle coupa la langue de la petite sirène. Muette, elle ne pourrait jamais plus ni chanter, ni parler.
- Si les polypes essayent de t'agripper, lorsque tu retourneras à travers la forêt, jette une seule goutte de ce breuvage sur eux et leurs bras et leurs doigts se briseront en mille morceaux.
La petite sirène n'eut pas à le faire, les polypes reculaient effrayés en voyant le philtre lumineux qui brillait dans sa main comme une étoile. Elle traversa rapidement la forêt, le marais et le courant mugissant.
Elle était devant le palais de son père. Les lumières étaient éteintes dans la grande salle de bal, tout le monde dormait sûrement, et elle n'osa pas aller auprès des siens maintenant qu'elle était muette et allait les quitter pour tou- jours. Il lui sembla que son coeur se brisait de chagrin. Elle se glissa dans le jardin, cueillit une fleur du parterre de chacune de ses soeurs, envoya de ses doigts mille baisés au palais et monta à travers l'eau sombre et bleue de la mer. Le soleil n'était pas encore levé lorsqu'elle vit le palais du prince et gravit les degrés du magnifique escalier de marbre. La lune brillait merveilleusement claire. La petite sirène but l'âpre et brûlante mixture, ce fut comme si une épée à deux tranchants fendait son tendre corps, elle s'évanouit et resta étendue comme morte. Lorsque le soleil resplendit au-dessus des flots, elle revint à elle et ressentit une douleur aiguë. Mais devant elle, debout, se tenait le jeune prince, ses yeux noirs fixés si intensément sur elle qu'elle en baissa les siens et vit qu'à la place de sa queue de poisson disparue, elle avait les plus jolies jambes blanches qu'une jeune fille pût avoir. Et comme elle était tout à fait nue, elle s'enveloppa dans sa longue chevelure.
Le prince demanda qui elle était, comment elle était venue là, et elle leva vers lui doucement, mais tristement, ses grands yeux bleus puis qu'elle ne pouvait parler.
Alors il la prit par la main et la conduisit au palais. A chaque pas, comme la sorcière l'en avait prévenue, il lui semblait marcher sur des aiguilles pointues et des couteaux aiguisés, mais elle supportait son mal. Sa main dans la main du prince, elle montait aussi légère qu'une bulle et lui-même et tous les assistants s'émerveillèrent de sa démarche gracieuse et ondulante.
On lui fit revêtir les plus précieux vêtements de soie et de mousseline, elle était au château la plus belle, mais elle restait muette. Des servantes ravissantes, parées de soie et d'or, venaient chanter devant le prince et ses royaux parents. L'une d'elles avait une voix plus belle encore que les autres. Le prince l'applaudissait et lui souriait, alors une tristesse envahit la petite sirène, elle savait qu'elle-même aurait chanté encore plus merveilleusement et elle pensait : « Oh! si seulement il savait que pour rester près de lui, j'ai renoncé à ma voix à tout jamais ! »
Puis les servantes commencèrent à exécuter au son d'une musique admirable, des danses légères et gracieuses. Alors la petite sirène, élevant ses beaux bras blancs, se dressa sur la pointe des pieds et dansa avec plus de grâce qu'aucune autre. Chaque mouvement révélait davantage le charme de tout son être et ses yeux s'adressaient au coeur plus profondément que le chant des servantes.
Tous en étaient enchantés et surtout le prince qui l'appelait sa petite enfant trouvée.
Elle continuait à danser et danser mais chaque fois que son pied touchait le sol, C'était comme si elle avait marché sur des couteaux aiguisés. Le prince voulut l'avoir toujours auprès de lui, il lui permit de dormir devant sa porte sur un coussin de velours.
Il lui fit faire un habit d'homme pour qu'elle pût le suivre à cheval. Ils chevauchaient à travers les bois embaumés où les branches vertes lui battaient les épaules, et les petits oiseaux chantaient dans le frais feuillage. Elle grimpa avec le prince sur les hautes montagnes et quand ses pieds si délicats saignaient et que les autres s'en apercevaient, elle riait et le suivait là- haut d'où ils admiraient les nuages défilant au-dessous d'eux comme un vol d'oiseau migrateur partant vers des cieux lointains.
La nuit, au château du prince, lorsque les autres dormaient, elle sortait sur le large escalier de marbre et, debout dans l'eau froide, elle rafraîchissait ses pieds brûlants. Et puis, elle pensait aux siens, en bas, au fond de la mer.
Une nuit elle vit ses soeurs qui nageaient enlacées, elles chantaient tristement et elle leur fit signe. Ses soeurs la reconnurent et lui dirent combien elle avait fait de peine à tous. Depuis lors, elles lui rendirent visite chaque soir, une fois même la petite sirène aperçut au loin sa vieille grand-mère qui depuis bien des années n'était montée à travers la mer et même le roi, son père, avec sa couronne sur la tête. Tous deux lui tendaient le bras mais n'osaient s'approcher au- tant que ses soeurs.
De jour en jour, elle devenait plus chère au prince ; il l'aimait comme on aime un gentil enfant tendrement chéri, mais en faire une reine ! Il n'en avait pas la moindre idée, et c'est sa femme qu'il fallait qu'elle devînt, sinon elle n'aurait jamais une âme immortelle et, au matin qui suivrait le jour de ses noces, elle ne serait plus qu'écume sur la mer.
- Ne m'aimes-tu pas mieux que toutes les autres ? semblaient dire les yeux de la petite sirène quand il la prenait dans ses bras et baisait son beau front.
- Oui, tu m'es la plus chère, disait le prince, car ton coeur est le meilleur, tu m'est la plus dévouée et tu ressembles à une jeune fille une fois aperçue, mais que je ne retrouverai sans doute jamais. J'étais sur un vaisseau qui fit naufrage, les vagues me jetèrent sur la côte près d'un temple desservi par quelques jeunes filles ; la plus jeune me trouva sur le rivage et me sauva la vie. Je ne l'ai vue que deux fois et elle est la seule que j'eusse pu aimer d'amour en ce monde, mais toi tu lui ressembles, tu effaces presque son image dans mon âme puisqu'elle appartient au temple. C'est ma bonne étoile qui t'a envoyée à moi. Nous ne nous quitterons jamais.
" Hélas ! il ne sait pas que c'est moi qui ai sauvé sa vie ! pensait la petite sirène. Je l'ai porté sur les flots jusqu'à la forêt près de laquelle s'élève le temple, puis je me cachais derrière l'écume et regardais si personne ne viendrait. J'ai vu la belle jeune fille qu'il aime plus que moi. "
La petite sirène poussa un profond soupir. Pleurer, elle ne le pouvait pas.
- La jeune fille appartient au lieu saint, elle n'en sortira jamais pour retourner dans le monde, ils ne se rencontreront plus, moi, je suis chez lui, je le vois tous les jours, je le soignerai, je l'adorerai, je lui dévouerai ma vie.
Mais voilà qu'on commence à murmurer que le prince va se marier, qu'il épouse la ravissante jeune fille du roi voisin, que c'est pour cela qu'il arme un vaisseau magnifique ... On dit que le prince va voyager pour voir les Etats du roi voisin, mais c'est plutôt pour voir la fille du roi voisin et une grande suite l'accompagnera ... Mais la petite sirène secoue la tête et rit, elle connaît les pensées du prince bien mieux que tous les autres.
- Je dois partir en voyage, lui avait-il dit. Je dois voir la belle princesse, mes parents l'exigent, mais m'obliger à la ramener ici, en faire mon épouse, cela ils n'y réussiront pas, je ne peux pas l'aimer d'amour, elle ne ressemble pas comme toi à la belle jeune fille du temple. Si je devais un jour choisir une épouse ce serait plutôt toi, mon enfant trouvée qui ne dis rien, mais dont les yeux parlent.
Et il baisait ses lèvres rouges, jouait avec ses longs cheveux et posait sa tête sur son coeur qui se mettait à rêver de bonheur humain et d'une âme immortelle.
- Toi, tu n'as sûrement pas peur de la mer, ma petite muette chérie ! lui dit-il lorsqu'ils montèrent à bord du vaisseau qui devait les conduire dans le pays du roi voisin.
Il lui parlait de la mer tempétueuse et de la mer calme, des étranges poissons des grandes profondeurs et de ce que les plongeurs y avaient vu. Elle souriait de ce qu'il racontait, ne connaissait-elle pas mieux que quiconque le fond de l'océan? Dans la nuit, au clair de lune, alors que tous dormaient à bord, sauf le marin au gouvernail, debout près du bastingage elle scrutait l'eau limpide, il lui semblait voir le château de son père et, dans les combles, sa vieille grand- mère, couronne d'argent sur la tête, cherchant des yeux à travers les courants la quille du bateau. Puis ses soeurs arrivèrent à la surface, la regardant tristement et tordant leurs mains blanches. Elle leur fit signe, leur sourit, voulut leur dire que tout allait bien, qu'elle était heureuse, mais un mousse s'approchant, les soeurs replongèrent et le garçon demeura persuadé que cette blancheur aperçue n'était qu'écume sur l'eau.
Le lendemain matin le vaisseau fit son entrée dans le port splendide de la capitale du roi voisin. Les cloches des églises sonnaient, du haut des tours on soufflait dans les trompettes tandis que les soldats sous les drapeaux flottants présentaient les armes.
Chaque jour il y eut fête; bals et réceptions se succédaient mais la princesse ne paraissait pas encore. On disait qu'elle était élevée au loin, dans un couvent où lui étaient enseignées toutes les vertus royales.
Elle vint, enfin !
La petite sirène était fort impatiente de juger de sa beauté. Il lui fallut reconnaître qu'elle n'avait jamais vu fille plus gracieuse. Sa peau était douce et pâle et derrière les longs cils deux yeux fidèles, d'un bleu sombre, souriaient. C'était la jeune fille du temple ...
- C'est toi ! dit le prince, je te retrouve - toi qui m'as sauvé lorsque je gisais comme mort sur la grève ! Et il serra dans ses bras sa fiancée rougissante. Oh ! je suis trop heureux, dit-il à la petite sirène. Voilà que se réalise ce que je n'eusse jamais osé espérer. Toi qui m'aimes mieux que tous les autres, tu te réjouiras de mon bonheur.
La petite sirène lui baisait les mains, mais elle sentait son coeur se briser. Ne devait-elle pas mourir au matin qui suivrait les noces ? Mourir et n'être plus qu'écume sur la mer !
Des hérauts parcouraient les rues à cheval proclamant les fiançailles. Bientôt toutes les cloches des églises sonnèrent, sur tous les autels des huiles parfumées brûlaient dans de précieux vases d'argent, les prêtres balancèrent les encensoirs et les époux se tendirent la main et reçurent la bénédiction de l'évêque.
La petite sirène, vêtue de soie et d'or, tenait la traîne de la mariée mais elle n'entendait pas la musique sacrée, ses yeux ne voyaient pas la cérémonie sainte, elle pensait à la nuit de sa mort, à tout ce qu'elle avait perdu en ce monde.
Le soir même les époux s'embarquèrent aux salves des canons, sous les drapeaux flottants.
Au milieu du pont, une tente d'or et de pourpre avait été dressée, garnie de coussins moelleux où les époux reposeraient dans le calme et la fraicheur de la nuit.
Les voiles se gonflèrent au vent et le bateau glissa sans effort et sans presque se balancer sur la mer limpide. La nuit venue on alluma des lumières de toutes les couleurs et les marins se mirent à danser.
La petite sirène pensait au soir où, pour la première fois, elle avait émergé de la mer et avait aperçu le même faste et la même joie. Elle se jeta dans le tourbillon de la danse, ondulant comme ondule un cygne pourchassé et tout le monde l'acclamait et l'admirait : elle n'avait jamais dansé si divinement. Si des lames aiguës transperçaient ses pieds délicats, elle ne les sentait même pas, son coeur était meurtri d'une bien plus grande douleur. Elle savait qu'elle le voyait pour la dernière fois, lui, pour lequel elle avait abandonné les siens et son foyer, perdu sa voix exquise et souffert chaque jour d'indicibles tourments, sans qu'il en eût connaissance. C'était la dernière nuit où elle respirait le même air que lui, la dernière fois qu'elle pouvait admirer cette mer profonde, ce ciel plein d'étoiles.
La nuit éternelle, sans pensée et sans rêve, l'attendait, elle qui n'avait pas d'âme et n'en pouvait espérer.
Sur le navire tout fut plaisir et réjouissance jusque bien avant dans la nuit. Elle dansait et riait mais la pensée de la mort était dans son coeur. Le prince embrassait son exquise épouse qui caressait les cheveux noirs de son époux, puis la tenant à son bras il l'amena se reposer sous la tente splendide.
Alors, tout fut silence et calme sur le navire. Seul veillait l'homme à la barre. La petite sirène appuya ses bras sur le bastingage et chercha à l'orient la première lueur rose de l'aurore, le premier rayon du soleil qui allait la tuer.
Soudain elle vit ses soeurs apparaître au-dessus de la mer. Elles étaient pâles comme elle-même, leurs longs cheveux ne flottaient plus au vent, on les avait coupés.
- Nous les avons sacrifiés chez la sorcière pour qu'elle nous aide, pour que tu ne meures pas cette nuit. Elle nous a donné un couteau. Le voici. Regarde comme il est aiguisé ... Avant que le jour ne se lève, il faut que tu le plonges dans le coeur du prince et lorsque son sang tout chaud tombera sur tes pieds, ils se réuniront en une queue de poisson et tu redeviendras sirène. Tu pourras descendre sous l'eau jusque chez nous et vivre trois cents ans avant de devenir un peu d'écume salée. Hâte-toi ! L'un de vous deux doit mourir avant l'aurore. Notre vieille grand-mère a tant de chagrin qu'elle a, comme nous, laissé couper ses cheveux blancs par les ciseaux de la sorcière. Tue le prince, et reviens-nous. Hâte-toi ! Ne vois-tu pas déjà cette traînée rose à l'horizon ? Dans quelques minutes le soleil se lèvera et il te faudra mourir.
Un soupir étrange monta à leurs lèvres et elles s'enfoncèrent dans les vagues. La petite sirène écarta le rideau de pourpre de la tente, elle vit la douce épousée dormant la tête appuyée sur l'épaule du prince. Alors elle se pencha et posa un baisé sur le beau front du jeune homme. Son regard chercha le ciel de plus en plus envahi par l'aurore, puis le poignard pointu, puis à nouveau le prince, lequel, dans son sommeil, murmurait le nom de son épouse qui occupait seule ses pensées, et le couteau trembla dans sa main. Alors, tout à coup, elle le lança au loin dans les vagues qui rougirent à l'endroit où il toucha les flots comme si des gouttes de sang jaillissaient à la surface. Une dernière fois, les yeux voilés, elle contempla le prince et se jeta dans la mer où elle sentit son corps se dissoudre en écume.
Maintenant le soleil surgissait majestueusement de la mer. Ses rayons tombaient doux et chauds sur l'écume glacée et la petite sirène ne sentait pas la mort. Elle voyait le clair soleil et, au-dessus d'elle, planaient des centaines de charmants êtres transparents. A travers eux, elle apercevait les voiles blanches du navire, les nuages roses du ciel, leurs voix étaient mélodieuses, mais si immatérielles qu'aucune oreille terrestre ne pouvait les capter, pas plus qu'aucun regard humain ne pouvait les voir. Sans ailes, elles flottaient par leur seule légèreté à travers l'espace. La petite sirène sentit qu'elle avait un corps comme le leur, qui s'élevait de plus en plus haut au-dessus de l'écume.
- Où vais-je ? demanda-t-elle. Et sa voix, comme celle des autres êtres, était si immatérielle qu'aucune musique humaine ne peut l'exprimer.
- Chez les filles de l'air, répondirent-elles. Une sirène n'a pas d'âme immortelle, ne peut jamais en avoir, à moins de gagner l'amour d'un homme. C'est d'une volonté étrangère que dépend son existence éternelle. Les filles de l'air n'ont pas non plus d'âme immortelle, mais elles peuvent, par leurs bonnes actions, s'en créer une. Nous nous envolons vers les pays chauds où les effluves de la peste tuent les hommes, nous y soufflons la fraîcheur. Nous répandons le parfum des fleurs dans l'atmosphère et leur arôme porte le réconfort et la guérison. Lorsque durant trois cents ans nous nous sommes efforcées de faire le bien, tout le bien que nous pouvons, nous obtenons une âme immortelle et prenons part à l'éternelle félicité des hommes. Toi, pauvre petite sirène, tu as de tout coeur cherché le bien comme nous, tu as souffert et supporté de souffrir, tu t'es haussée jusqu'au monde des esprits de l'air, maintenant tu peux toi-même, par tes bonnes actions, te créer une âme immortelle dans trois cents ans.
Alors, la petite sirène leva ses bras transparents vers le soleil de Dieu et, pour la première fois, des larmes montèrent à ses yeux.
Sur le bateau, la vie et le bruit avaient repris, elle vit le prince et sa belle épouse la chercher de tous côtés, elle les vit fixer tristement leurs regards sur l'écume dansante , comme s'ils avaient deviné qu'elle s'était précipitée dans les vagues. Invisible elle baisa le front de l'époux, lui sourit et avec les autres filles de l'air elle monta vers les nuages roses qui voguaient dans l'air.
- Dans trois cents ans, nous entrerons ainsi au royaume de Dieu.
- Nous pouvons même y entrer avant, murmura l'une d'elles. Invisibles nous pénétrons dans les maisons des hommes où il y a des enfants et, chaque fois que nous trouvons un enfant sage, qui donne de la joie à ses parents et mérite leur amour, Dieu raccourcit notre temps d'épreuve.
Lorsque nous voltigeons à travers la chambre et que de bonheur nous sourions, l'enfant ne sait pas qu'un an nous est soustrait sur les trois cents, mais si nous trouvons un enfant cruel et méchant, il nous faut pleurer de chagrin et chaque larme ajoute une journée à notre temps d'épreuve.
Baba Yaga (conte russe)
Dans un village de la campagne russe vivait une petite fille qui n'a-
vait plus de maman. Son père, qui était déjà assez vieux, se remaria,
mais il ne sut pas bien choisir. Sa nouvelle femme était méchante, c'était une marâtre. Elle détestait la petite fille et la traitait mal.
- Comment faire pour me débarrasser de cette enfant ? songeait
..la marâtre.
Un jour que son mari s'était rendu au marché vendre du blé, elle dit
à la petite fille :
- Va chez ma soeur, ta gentille tante et demande-lui une aiguille et
..du fil pour te coudre une chemise.
La petite fille mit son joli fichu rouge et partit.
En route, comme elle était maligne, elle se dit :
- J'irai d'abord demander conseil à ma vraie gentille tante, la soeur
..de ma vraie maman.
Sa tante la reçut avec bonté.
- Tante, dit la petite fille, la nouvelle femme de papa m'a envoyée
..chez sa soeur lui demander une aiguille et du fil pour me coudre
..une chemise. Mais d'abord, je suis venue te demander, à toi, un
..bon conseil.
- Tu as eu raison. La soeur de ta marâtre n'est autre que Baba-Yaga,
..la cruelle ogresse ! Mais écoute-moi : il y a chez Baba-Yaga un bou-
..leau qui voudra te fouetter les yeux avec ses branches, noue un ru-
..ban autour deson tronc. Tu verras une grosse barrière qui grince et
..qui voudra se refermer toute seule, mets de l'huile sur ses gonds.
..Des chiens voudront te dévorer, jette-leur du pain. Enfin, tu verras
..un chat qui te crèverait les yeux, donne-lui un bout de jambon.
- Merci bien, ma tante, répondit la petite fille.
Elle marcha longtemps puis arriva enfin à la maison de Baba-Yaga.
Baba-Yaga était en train de tisser.
- Bonjour ma tante.
- Bonjour, ma nièce.
- Ma mère m'envoie te demander une aiguille et du fil pour qu'elle me
..couse une chemise.
- Bon, je m'en vais te chercher une aiguille bien droite et du fil bien
..blanc. En attendant assieds-toi à ma place et tisse.
La petite fille se mit au métier. Elle était bien contente.
Soudain, elle entendit Baba-Yaga dire à sa servante dans la cour :
- Chauffe le bain et lave ma nièce soigneusement. Je veux la manger
..au dîner.
La petite fille trembla de peur. Elle vit la servante entrer et apporter
des bûches et des fagots et de pleins seaux d'eau. Alors elle fit un
grand effort pour prendre une voix aimable et gaie et elle dit à la
servante :
- Eh ! ma bonne, fends moins de bois et pour apporter l'eau, sers-toi
..plutôt d'une passoire !
Et elle donna son joli fichu rouge à la servante.
La petite fille regardait autour d'elle de tous les côtés. Le feu com-
mençait à flamber dans la cheminée. Il avait beau être un feu d'ogres-
se, sa flamme était vive et claire. Et l'eau commençait à chanter dans
le chaudron, et bien que ce fût une eau d'ogresse, elle chantait une
jolie chanson.
Mais Baba-Yaga s'impatientait. De la cour, elle demanda :
- Tu tisses, ma nièce ? Tu tisses, ma chérie ?
- Je tisse, ma tante, je tisse.
Sans faire de bruit, la petite fille se lève, va à la porte...
Mais le chat est là, maigre, noir, effrayant ! De ses yeux verts il regar-
de les yeux bleus de la petite fille. Et déjà il sort ses griffes pour les
lui crever. Mais elle lui donne un morceau de jambon cru et lui de-
mande doucement :
- Dis-moi, je t'en prie, comment je peux échapper à Baba-Yaga ?
Le chat mange d'abord tout le morceau de jambon, puis il lisse ses
moustaches et répond :
- Prends ce peigne et cette serviette, et sauve-toi. Baba-Yaga va te
..poursuivre en courant. Colle l'oreille contre la terre. Si tu l'entends
..approcher, jette la serviette, et tu verras ! Si elle te poursuit toujours,
..colle encore l'oreille contre la terre, et quand tu l'entendras sur la
..route, jette le peigne et tu verras !
La petite fille remercia le chat, prit la serviette et le peigne et s'enfuit.
Mais à peine hors de la maison, elle vit deux chiens encore plus mai-
gres que le chat, tout prêts à la dévorer. Elle leur jeta du pain tendre
et ils ne lui firent aucun mal.
Ensuite, c'est la grosse barrière qui grinça et qui voulut se refermer
pour l'empêcher de sortir de l'enclos. Mais comme sa tante le lui
avait dit, ellelui versa toute une burette d'huile sur les gonds et la
barrière s'ouvrit largement pour la laisser passer.
Sur le chemin, le bouleau siffla et s'agita pour lui fouetter les yeux.
Mais elle noua un ruban rouge à son tronc, et voilà que le bouleau la
salua et lui montra le chemin. Elle courut, elle courut, elle courut.
Pendant ce temps, le chat s'était mis à tisser.
De la cour, Baba-Yaga demanda encore une fois :
- Tu tisses, ma nièce ? Tu tisses, ma chérie ?
- Je tisse, ma vieille tante, je tisse, répondit le chat d'une grosse voix.
Furieuse, Baba-Yaga se précipita dans la maison. Plus de petite fille !
Elle rossa le chat et cria :
- Pourquoi ne lui as-tu pas crevé les yeux, traître ?
- Eh ! dit le chat, voilà longtemps que je suis à ton service, et tu ne
..m'as jamais donné le plus petit os, tandis qu'elle m'a donné du
..jambon !
Baba-Yaga rossa les chiens.
- Eh ! dirent les chiens, voilà longtemps que nous sommes à ton ser-
vice, et nous as-tu seulement jeté une vieille croûte ? Tandis qu'elle
nous a donné du pain tendre !
Baba-Yaga secoua la barrière.
- Eh ! dit la barrière, voilà longtemps que je suis à ton service et tu
..ne m'as jamais mis une seule goutte d'huile sur les gonds, tandis
..qu'elle m'en a versé une pleine burette !
Baba-Yaga s'en prit au bouleau.
- Eh ! dit le bouleau, voilà longtemps que je suis à ton service, et tu
..ne m'as jamais décoré d'un fil, tandis qu'elle m'a paré d'un beau
..ruban de soie !
- Et moi, dit la servante, à qui pourtant on ne demandait rien, et moi,
..depuis le temps que je suis à ton service, je n'ai jamais reçu de toi
..ne serait-ce qu'une loque, tandis qu'elle m'a fait cadeau d'un joli
..fichu rouge !
Baba-Yaga siffla son mortier qui arriva ventre à terre et elle sauta de-
dans. Jouant du pilon et effaçant ses traces avec son balai, elle s'é-
lança à la poursuite de la petite fille à travers la campagne.
La petite fille colle son oreille contre la terre : elle entend que Baba-
Yaga approche. Alors elle jette la serviette, et voilà que la serviette
se trans e en une large rivière !
Baba-Yaga fut bien obligée de s'arrêter. Elle grince des dents, roule
des yeux jaunes, court à sa maison, fait sortir ses trois boeufs de
l'étable et les amène près de la rivière. Et les boeufs boivent toute
l'eau jusqu'à la dernière goutte.
Alors Baba-Yaga reprend sa poursuite.
La petite fille est loin. Elle colle l'oreille contre la terre. Elle entend
le pilon sur la route. Elle jette le peigne...
Et voilà que le peigne se change en une forêt touffue ! Baba-Yaga
essaie d'y entrer, de scier les arbres avec ses dents. Impossible !
La petite fille écoute : plus rien. Elle n'entend que le vent qui souffle
entre les sapins verts et noirs de la forêt.
Pourtant elle continua de courir très vite parce qu'il commençait à
faire nuit, et elle pensait : " Mon papa doit me croire perdue. "
Le vieux paysan, de retour du marché, avait demandé à sa femme :
- Où est la petite ?
- Qui le sait ! répondit la marâtre. Voilà des heures que je l'ai envoyée
..faire une commission chez sa tante.
Enfin, la petite fille, les joues plus roses que jamais d'avoir couru,
arriva chez son père. Il lui demanda :
- D'où viens-tu, ma petite ?
- Ah ! dit-elle, petit père, ma mère m'a envoyée chez ma tante cher-
..cher une aiguille et du fil pour me coudre une chemise, mais ma
..tante, figure-toi que c'est Baba-Yaga, la cruelle ogresse !
Et elle raconta toute son histoire. Le vieil homme était très en colère.
Il roua de coups la marâtre et la chassa de sa maison en lui ordon-
nant de ne plus jamais revenir.
Depuis ce temps, la petite fille et son père vivent en paix.
CENDRILLON version de Charles Perrault
Il était une fois un gentilhomme qui épousa en secondes noces une femme, la plus hautaine et la plus fière qu'on eût jamais vue. Elle avait deux filles de son humeur, et qui lui ressemblaient en toutes choses. Le mari avait de son côté une jeune fille, mais d'une douceur et d'une bonté sans e.xemple; elle tenait cela de sa mère, qui était la meilleure femme du monde. Les noces ne furent pas plus tôt faites, que la belle-mère fit éclater sa mauvaise humeur; elle ne put souffrir les bonnes qualités de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus haïssables. Elle la chargea des plus viles occupations de la maison: c'était elle qui nettoyait la vaisselle et les montées, qui frottait la chambre de madame, et celles de mesdemoiselles ses filles. Elle couchait tout en haut de la maison, dans un grenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses soeurs étaient dans des chambres parquetées, où elles avaient des lits des plus à la mode, et des miroirs où elles se voyaient depuis les pieds jusqu'à la tête. La pauvre fille souffrait tout avec patience, et n'osait s'en plaindre à son père qui l'aurait grondée, parce que sa femme le gouvernait entièrement. Lorsqu'elle avait fait son ouvrage, elle s'en allait au coin de la cheminée, et s'asseoir dans les cendres, ce qui faisait qu'on l'appelait communément dans le logis Cucendron. La cadette, qui n'était pas si malhonnête que son aînée, l'appelait Cendrillon; cependant Cendrillon, avec ses méchants habits, ne laissait pas d'être cent fois plus belle que ses soeurs, quoique vêtues très magnifiquement.
Il arriva que le fils du roi donna un bal, et qu'il y invita toutes les personnes de qualité: nos deux demoiselles en furent aussi invitées, car elles faisaient grande figure dans le pays. Les voilà bien aises et bien occupées à choisir les habits et les coiffures qui leur siéraient le mieux; nouvelle peine pour Cendrillon, car c'était elle qui repassait le linge de ses soeurs et qui godronnait leurs manchettes: on ne parlait que de la manière dont on s'habillerait.
-''Moi, dit l'aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d'Angleterre."
-"Moi, dit la cadette, je n'aurai que ma jupe ordinaire; mais par contre, je mettrai mon manteau à fleurs d'or, et ma barrière de diamants, qui n'est pas des plus indifférentes.''
On envoya chercher la bonne coiffeuse, pour dresser les cornettes à deux rangs, et on fit acheter des mouches de la bonne faiseuse : elles appelèrent Cendrillon pour lui demander son avis, car elle avait bon goût. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, et s'offrit même à les coiffer; ce qu'elles voulurent bien. En les coiffant, elles lui disaient:
-''Cendrillon, serais-tu bien aise d'aller au bal ?"
-"Hélas, mesdemoiselles, vous vous moquez de moi, ce n'est pas là ce qu'il me faut."
-" Tu as raison, on rirait bien si on voyait un cucendron aller au bal.''
Une autre que Cendrillon les aurait coiffées de travers; mais elle était bonne, et elle les coiffa parfaitement bien. Elles furent près de deux jours sans manger, tant elles étaient emplies de joie. On rompit plus de douze lacets à force de les serrer pour leur rendre la taille plus menue, et elles étaient toujours devant leur miroir. Enfin l'heureux jour arriva, on partit, et Cendrillon les suivit des yeux le plus longtemps qu'elle put; lorsqu'elle ne les vit plus, elle se mit à pleurer. Sa marraine, qui la vit toute en pleurs, lui demanda ce qu'elle avait :
-''Je voudrais bien... je voudrais bien...''
Elle pleurait si fort qu'elle ne put achever. Sa marraine, qui était fée, lui dit:
-''Tu voudrais bien aller au bal, n'est-ce pas ?
-"Hélas oui" dit Cendrillon en soupirant.
-"Hé bien, seras-tu bonne fille ?" dit sa marraine, je t'y ferai aller.
Elle la mena dans sa chambre, et lui dit :
-''Va dans le jardin et apporte-moi une citrouille.''
Cendrillon alla aussitôt cueillir la plus belle qu'elle put trouver, et la porta à sa marraine, ne pouvant deviner comment cette citrouille pourrait la faire aller au bal. Sa marraine la creusa, et n'ayant laissé que l'écorce, la frappa de sa baguette, et la citrouille fut aussitôt changée en un beau carrosse tout doré. Ensuite elle alla regarder dans sa souricière, où elle trouva six souris toutes en vie ; elle dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la souricière, et à chaque souris qui sortait, elle lui donnait un coup de sa baguette, et la souris était aussitôt changée en un beau cheval; ce qui fit un bel attelage de six chevaux, d'un beau gris de souris pommelé. Comme elle était en peine de quoi elle ferait un cocher:
-''Je vais voir, dit Cendrillon, s'il n'y a point quelque rat dans la ratière, nous en ferons un cocher."
-"Tu as raison", dit sa marraine "va voir.''
Cendrillon lui apporta la ratière, où il y avait trois gros rats. La fée en prit un d'entre les trois, à cause de sa maîtresse barbe, et l'ayant touché, il fut changé en un gros cocher, qui avait une des plus belles moustaches qu'on ait jamais vues. Ensuite elle lui dit:
-''Va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrière l'arrosoir, apporte-les-moi."
Elle ne les eut pas plus tôt apportés, que la marraine les changea en six laquais, qui montèrent aussitôt derrière le carrosse avec leurs habits chamarrés, et qui s'y tenaient accrochés, comme s'ils n'eussent fait autre chose toute leur vie. La fée dit alors à Cendrillon :
-''Hé bien, voilà de quoi aller au bal, n'es-tu pas bien aise?
-"Oui, mais est-ce que j'irai comme ça avec mes vilains habits?''
Sa marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même temps ses habits furent changés en des habits de drap d'or et d'argent tout chamarrés de pierreries; elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. Quand elle fut ainsi parée, elle monta en carrosse; mais sa marraine lui recommanda instamment de ne pas dépasser minuit, l'avertissant que si elle demeurait au bal un moment de plus, son carrosse redeviendrait citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lézards, et que ses vieux habits reprendraient leur première e. Elle promit à sa marraine qu'elle ne manquerait pas de sortir du bal avant minuit. Elle part, ne se sentant pas de joie. Le fils du roi, qu'on alla avertir qu'il venait d'arriver une grande princesse qu'on ne connaissait point, courut la recevoir; il lui donna la main à la descente du carrosse, et la mena dans la salle où était la compagnie. Il se fit alors un grand silence; on cessa de danser, et les violons ne jouèrent plus, tant on était attentif à contempler les grandes beautés de cette inconnue. On n'entendait qu'un bruit confus:
-''Ha, qu'elle est belle!''
Le roi même, tout vieux qu'il était, ne lassait pas de la regarder, et de dire tout bas à la reine qu'il y avait longtemps qu'il n'avait vu une si belle et si aimable dame. Toutes les dames étaient attentives à considérer sa coiffure et ses habits, pour en avoir dès le lendemain de semblables, pourvu qu'il se trouvât des étoffes assez belles, et des ouvriers assez habiles. Le fils du roi la mit à la place d'honneur, et ensuite la prit pour la mener danser: elle dansa avec tant de grâce, qu'on l'admira encore davantage. On apporta une fort belle collation, dont le jeune prince ne mangea point, tant il était occupé à la contempler. Elle alla s'asseoir auprès de ses soeurs, et leur fit mille honnêtetés: elle leur fit part des oranges et des citrons que le Prince lui avait donnés, ce qui les étonna fort, car elles ne la connaissaient point. Lorsqu'elles causaient ainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts: elle fit aussitôt une grande révérence à la compagnie, et s'en alla le plus vite qu'elle put. Dès qu'elle fut arrivée, elle alla trouver sa marraine, et après l'avoir remerciée, elle lui dit qu'elle souhaiterait bien aller encore le lendemain au bal, parce que le fils du roi l'en avait priée. Comme elle était occupée à raconter à sa marraine tout ce qui s'était passé au bal, les deux soeurs frappèrent à la porte; Cendrillon alla leur ouvrir:
-''Que vous avez mis longtemps à revenir!'' leur dit-elle en bâillant, en se frottant les yeux, et en s'étendant comme si elle n'eût fait que de se réveiller; elle n'avait cependant pas eu envie de dormir depuis qu'elles s'étaient quittées.
-''Si tu étais venue au bal, lui dit une de ses soeurs, tu ne t'y serais pas ennuyée: il y est venu la plus belle princesse, la plus belle qu'on puisse jamais voir; elle nous a fait mille civilités, elle nous a donné des oranges et des citrons.''
Cendrillon ne se sentait pas de joie: elle leur demanda le nom de cette princesse; mais elles lui répondirent qu'on ne la connaissait pas, que le fils du roi en était fort en peine, et qu'il donnerait toutes choses au monde pour savoir qui elle était. Cendrillon sourit et leur dit:
-''Elle était donc bien belle? Mon Dieu, que vous êtes heureuses, ne pourrais-je point la voir? Hélas! Mademoiselle Javotte, prêtez-moi votre habit jaune que vous mettez tous les jours."
-"Vraiment", dit Mademoiselle Javotte,"je suis de cet avis! Prêtez votre habit à un vilain cucendron comme cela, il faudrait que je fusse bien folle.''
Cendrillon s'attendait bien à ce refus, et elle en fut bien aise, car elle aurait été grandement embarrassée si sa soeur eût bien voulu lui prêter son habit. Le lendemain les deux soeurs furent au bal, et Cendrillon aussi, mais encore plus parée que la première fois. Le fils du roi fut toujours auprès d'elle, et ne cessa de lui conter des douceurs; la jeune demoiselle ne s'ennuyait point, et oublia ce que sa marraine lui avait recommandé; de sorte qu'elle entendit sonner le premier coup de minuit, lorsqu'elle ne croyait pas qu'il fût encore onze heures: elle se leva et s'enfuit aussi légèrement qu'aurait fait une biche. Le prince la suivit, mais il ne put l'attraper; elle laissa tomber une de ses pantoufles de verre, que le prince ramassa bien soigneusement. Cendrillon arriva chez elle bien essoufflée, sans carrosse, sans laquais, et avec ses méchants habits, rien ne lui étant resté de toute sa magnificence qu'une de ses petites pantoufles, la pareille de celle qu'elle avait laissée tomber. On demanda aux gardes de la porte du palais s'ils n'avaient point vu sortir une princesse; ils dirent qu'ils n'avaient vu sortir personne, qu'une jeune fille fort mal vêtue, et qui avait plus l'air d'une paysanne que d'une demoiselle. Quand ses deux soeurs revinrent du bal, Cendrillon leur demanda si elles s'étaient encore bien diverties, et si belle dame y avait été. Elles lui dirent que oui, mais qu'elle s'était enfuie lorsque minuit avait sonné, et si promptement qu'elle avait laissé tomber une de ses petites pantoufles de verre, la plus jolie du monde; que le fils du roi l'avait ramassée, et qu'il n'avait fait que la regarder pendant tout le reste du bal, et qu'assurément il était fort amoureux de la belle dame à qui appartenait la petite pantoufle. Elles dirent vrai, car peu de jours après, le fils du roi fit publier à son de trompe qu'il épouserait celle dont le pied serait bien juste à la pantoufle. On commença à l'essayer aux princesses, ensuite aux duchesses, et à toute la cour, mais inutilement. On la porta chez les deux soeurs, qui firent tout leur possible pour faire entrer leur pied dans la pantoufle, mais elles ne purent en venir à bout. Cendrillon qui les regardait, et qui reconnut sa pantoufle, dit en riant :
-'Que je voie si elle ne me serait pas bonne!''
Ses soeurs se mirent à rire et à se moquer d'elle. Le gentilhomme qui faisait l'essai de la pantoufle, ayant regardé attentivement Cendrillon, et la trouvant fort belle, dit que cela était juste, et qu'il avait ordre de l'essayer à toutes les filles. Il fit asseoir Cendrillon, et approchant la pantoufle de son petit pied, il vit qu'elle y entrait sans peine, et qu'elle y était juste comme de cire. L'étonnement des deux soeurs fut grand, mais plus grand encore quand Cendrillon tira de sa poche l'autre petite pantoufle qu'elle mit à son pied. Là-dessus arriva la marraine qui, ayant donné un coup de sa baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres.
Alors ses deux soeurs la reconnurent pour la belle dame qu'elles avaient vue au bal. Elles se jetèrent à ses pieds pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements qu'elles lui avaient fait souffrir. Cendrillon les releva, et leur dit, en les embrassant, qu'elle leur pardonnait de bon coeur, et qu'elle les priait de l'aimer bien toujours. On la mena chez le jeune prince, parée comme elle était: il la trouva encore plus belle que jamais, et peu de jours après il l'épousa. Cendrillon, qui était aussi bonne que belle, fit loger ses deux soeurs au palais, et les maria dès le jour même à deux grands seigneurs de la cour.
CENDRILLON version des frères Grim
Un homme riche avait une femme qui tomba malade; et quand celle-ci sentit sa fin prochaine, elle appela à son chevet son uni.que fille et lui dit :
- Chère enfant, reste bonne et pieuse, et le bon Dieu t'aidera toujours, et moi, du haut du ciel, je te regarderai et te protégerai.
Puis elle ferma les yeux et rnourut. La fillette se rendit chaque jour sur la tombe de sa mère, pleura et resta bonne et pieuse. L'hiver venu, la neige recouvrit la tombe d'un tapis blanc. Mais au printemps, quand le soleil l'eut fait fondre, l'homme prit une autre femme.
La femme avait amené avec elle ses deux filles qui étaient jolies et blanches de visage, mais laides et noires de coeur. Alors de bien mauvais jours commencèrent pour la pauvre belle-fille.
Faut-il que cette petite oie reste avec nous dans la salle? dirent-elles. Qui veut manger du pain, doit le gagner. Allez ouste, souillon!
Elles lui enlevèrent ses beaux habits, la vêtirent d'un vieux tablier gris et lui donnèrent des sabots de bois. " Voyez un peu la fière princesse, comme elle est accoutrée! ", s'écrièrent-elles en riant et elles la conduisirent à la cuisine. Alors il lui fallut faire du matin au soir de durs travaux, se lever bien avant le jour, porter de l'eau, allumer le feu, faire la cuisine et la lessive. En outre, les deux soeurs lui faisaient toutes les misères imaginables, se moquaient d'elle, lui renversaient les pois et les lentilles dans la cendre, de sorte qu'elle devait recommencer à les trier. Le soir, lorsqu'elle était épuisée de travail, elle ne se couchait pas dans un lit, mais devait s'étendre près du foyer dans les cendres. Et parce que cela lui donnait toujours un air poussiéreux et sale, elles l'appelèrent " Cendrillon ".
Il arriva que le père voulut un jour se rendre à la foire; il demanda à ses deux belles-filles ce qu'il devait leur rapporter.
- De beaux habits, dit l'une. - Des perles et des pierres précieuses, dit la seconde.
- Et toi, Cendrillon, demanda-t-il, que veux-tu?
- Père, le premier rameau qui heurtera votre chapeau sur le chemin du retour, cueillez-le pour moi.
Il acheta donc de beaux habits, des perles et des pierres précieuses pour les deux soeurs, et, sur le chemin du retour, en traversant à cheval un vert bosquet, une branche de noisetier l'effleura et fit tomber son chapeau. Alors il cueillit le rameau et l'emporta. Arrivé à la maison, il donna à ses belles-filles ce qu'elles avaient souhaité et à Cendrillon le rameau de noisetier. Cendrillon le remercia, s'en alla sur la tombe de sa mère et y planta le rameau, en pleurant si fort que les larmes tombèrent dessus et l'arrosèrent. Il grandit cependant et devint un bel arbre. Cendrillon allait trois fois par jour pleurer et prier sous ses branches, et chaque fois un petit oiseau blanc venait se poser sur l'arbre. Quand elle exprimait un souhait, le petit oiseau lui lançait à terre ce quelle avait souhaité.
Or il arriva que le roi donna une fête qui devait durer trois jours et à laquelle furent invitées toutes les jolies filles du pays, afin que son fils pût se choisir une fiancée. Quand elles apprirent qu'elles allaient aussi y assister, les deux soeurs furent toutes contentes; elles appelèrent Cendrillon et lui dirent -
-Peigne nos cheveux, brosse nos souliers et ajuste les boucles, nous allons au château du roi pour la noce.
Cendrillon obéit, mais en pleurant, car elle aurait bien voulu les accompagner, et elle pria sa belle-mère de bien vouloir le lui permettre.
Toi, Cendrillon, dit-elle, mais tu es pleine de poussière et de crasse, et tu veux aller à la noce? Tu n'as ni habits, ni souliers, et tu veux aller danser?
Mais comme Cendrillon ne cessait de la supplier, elle finit par lui dire :
-J'ai renversé un plat de lentilles dans les cendres; si dans deux heures tu les as de nouveau triées, tu pourras venir avec nous.
La jeune fille alla au jardin par la porte de derrière et appela : " Petits pigeons dociles, petites tourterelles et vous tous les petits oiseaux du ciel, venez m'aider à trier les graines :
les bonnes dans le petit pot,
les mauvaises dans votre jabot. "
Alors deux pigeons blancs entrèrent par la fenêtre de la cuisine, puis les tourterelles, et enfin, par nuées, tous les petits oiseaux du ciel vinrent en voletant se poser autour des cendres. Et baissant leurs petites têtes, tous les pigeons commencèrent à picorer : pic, pic, pic, pic, et les autres s'y mirent aussi : pic, pic, pic, pic, et ils amassèrent toutes les bonnes graines dans le plat. Au bout d'une heure à peine, ils avaient déjà terminé et s'envolèrent tous de nouveau. Alors la jeune fille, toute joyeuse à l'idée qu’elle aurait maintenant la permission d'aller à la noce avec les autres, porta le plat à sa marâtre. Mais celle-ci lui dit :
- Non, Cendrillon, tu n'as pas d'habits et tu ne sais pas danser : on ne ferait que rire de toi.
Comme Cendrillon se mettait à pleurer, elle lui dit :
- Si tu peux, en une heure de temps, me trier des cendres deux grands plats de lentilles, tu nous accompagneras. - Car elle se disait qu'au grand jamais elle n'y parviendrait.
Quand elle eut jeté le contenu des deux plats de lentilles dans la cendre, la jeune fille alla dans le jardin par la porte de derrière et appela : " Petits pigeons dociles, petites tourterelles, et vous tous les petits oiseaux du ciel, venez m'aider à trier les graines :
les bonnes dans le petit pot,
les mauvaises dans votre jabot.
Alors deux pigeons blancs entrèrent par la fenêtre de la cuisine, puis les tourterelles, et enfin, par nuées, tous les petits oiseaux du ciel vinrent en voletant se poser autour des cendres. Et baissant leurs petites têtes, tous les pigeons commencèrent -à picorer: pic, pic, pic, pic, et les autres s y mirent aussi : pic, pic, pic, pic, et ils ramassèrent toutes les bonnes graines dans les plats. Et en moins d'une demi-heure, ils avaient déjà terminé, et s'envolèrent tous à nouveau. Alors la jeune fille, toute joyeuse à l'idée que maintenant elle aurait la permission d'aller à la noce avec les autres, porta les deux plats à sa marâtre. Mais celle-ci lui dit :
- C'est peine perdue, tu ne viendras pas avec nous, car tu n'as pas d'habits et tu ne sais pas danser; nous aurions honte de toi.
Là-dessus, elle lui tourna le dos et partit à la hâte avec ses deux filles superbement parées.
Lorsqu'il n'y eut plus personne à la maison, Cendrillon alla sous le noisetier planté sur la tombe de sa mère et cria
Petit arbre, ébranle-toi, agite-toi,
jette de l'or et de l'argent sur moi. "
Alors l'oiseau lui lança une robe d'or et d'argent, ainsi que des pantoufles brodées de soie et d'argent. Elle mit la robe en toute hâte et partit à la fête. Ni ses soeurs, ni sa marâtre ne la reconnurent, et pensèrent que ce devait être la fille d'un roi étranger, tant elle était belle dans cette robe d'or. Elles ne songeaient pas le moins du monde à Cendrillon et la croyaient au logis, assise dans la saleté, a retirer les lentilles de la cendre. Le fils du roi vint à sa rencontre, a prit par la main et dansa avec elle. Il ne voulut même danser avec nulle autre, si bien qu'il ne lui lâcha plus la main et lorsqu'un autre danseur venait l'inviter, il lui disait : " C'est ma cavalière ".
Elle dansa jusqu'au soir, et voulut alors rentrer. Le fils du roi lui dit : " je m'en vais avec toi et t'accompagne ", car il voulait voir à quelle famille appartenait cette belle jeune fille. Mais elle lui échappa et sauta dans le pigeonnier. Alors le prince attendit l'arrivée du père et lui dit que la jeune inconnue avait sauté dans le pigeonnier. " Serait-ce Cendrillon? " se demanda le vieillard et il fallut lui apporter une hache et une pioche pour qu'il pût démolir le pigeonnier. Mais il n'y avait personne dedans. Et lorsqu'ils entrèrent dans la maison, Cendrillon était couchée dans la cendre avec ses vêtements sales, et une petite lampe à huile brûlait faiblement dans la cheminée; car Cendrillon avait prestement sauté du pigeonnier par- derrière et couru jusqu'au noisetier; là, elle avait retiré ses beaux habits, les avait posés sur la tombe, et l'oiseau les avait remportés; puis elle était allée avec son vilain tablier gris se mettre dans les cendres de la cuisine.
Le jour suivant, comme la fête recommençait et que ses parents et ses soeurs étaient de nouveau partis, Cendrillon alla sous le noisetier et dit :
Petit arbre, ébranle-toi, agite-toi,
jette de l'or et de l'argent sur moi. "
Alors l'oiseau lui lança une robe encore plus splendide que celle de la veille. Et quand elle parut à la fête dans cette toilette, tous furent frappés de sa beauté. Le fils du toi, qui avait attendu sa venue, la prit aussitôt par la main et ne dansa qu'avec elle. Quand d'autres venaient l'inviter, il leur disait : " C'est ma cavalière ". Le soir venu, elle voulut partir, et le fils du roi la suivit, pour voir dans quelle maison elle entrait, mais elle lui échappa et sauta dans le jardin derrière sa maison. Il y avait là un grand et bel arbre qui portait les poires les plus exquises, elle grirnpa entre ses branches aussi agilement qu'un écureuil, et le prince ne sut pas où elle était passée. Cependant il attendit l'arrivée du père et lui dit :
- La jeune fille inconnue m'a échappé, et je crois qu'elle a sauté sur le poirier.
" Serait-ce Cendrillon? " pensa le père qui envoya chercher la hache et abattit l'arbre, mais il n'y avait personne dessus. Et quand ils entrèrent dans la cuisine, Cendrillon était couchée dans la cendre, tout comme d'habitude, car elle avait sauté en bas de l'arbre par l'autre côté, rapporté les beaux habits à l'oiseau du noisetier et revêtu son vilain tablier gris. Le troisième jour, quand ses parents et ses soeurs furent partis, Cendrillon retourna sur la tombe de sa mère et dit au noisetier :
" Petit arbre, ébranle-toi, agite-toi,
jette de l'or et de l'argent sur moi. "
Alors l'oiseau lui lança une robe qui était si somptueuse et si éclatante qu'elle n'en avait encore jamais vue de pareille, et les pantoufles étaient tout en or. Quand elle arriva à la noce dans cette parure, tout le monde fut interdit d'admiration. Seul le fils du roi dansa avec elle, et si quelqu'un l'invitait, il disait : " C'est ma cavalière ".
Quand ce fut le soir, Cendrillon voulut partir, et le prince voulut l'accompagner, mais elle lui échappa si vite qu'il ne put la suivre. Or le fils du roi avait eu recours à une ruse : il avait fait enduire de poix tout l'escalier, de sorte qu'en sautant pour descendre, la jeune fille y -avait laissé sa pantoufle gauche engluée. Le prince la ramassa, elle était petite et mignonne et tout en or.
Le lendemain matin, il vint trouver le vieil homme avec la pantoufle et lui dit :
- Nulle ne sera mon épouse que celle dont le pied chaussera ce soulier d'or.
Alors les deux soeurs se réjouirent, car elles avaient le pied joli. L'aînée alla dans sa chambre pour essayer le soulier en compagnie de sa mère. Mais elle ne put y faire entrer le gros orteil, car la chaussure tait trop petite pour elle; alors sa mère lui tendit un couteau en lui disant :
- Coupe-toi ce doigt; quand tu seras reine, tu n’auras plus besoin d'aller à pied.
Alors la jeune fille se coupa l'orteil, fit entrer de force son pied dans le soulier et, contenant sa douleur, s'en alla trouver le fils du roi. Il la prit pour fiancée, la mit sur son cheval et partit avec elle. Mais il leur fallut passer devant la tornbe; les deux pet îts pigeons s'y trouvaient, perchés sur le noisetier, et ils crièrent :
" Ro cou-cou, roucou-cou et voyez là,
Dans la pantoufle, du sang il y a:
Bien trop petit était le soulier;
Encore au logis la vraie fiancée "
Alors il regarda le pied et vit que le sang en coulait. Il fit faire demi-tour à son cheval, ramena la fausse fiancée chez elle, dit que ce n'était pas la véritable jeune fille et que l'autre soeur devait essayer le soulier. Celle-ci alla dans sa chambre, fit entrer l’orteil, mais son talon était trop grand. Alors sa mère lui tendit un couteau en disant :
- Coupe-toi un bout de talon; quand tu seras reine, tu n'auras plus besoin d'aller à pied.
La jeune fille se coupa un bout de talon, fit entrer de force son pied dans le soulier et, contenant sa douleur, s'en alla trouve le fils du roi. Il la prit alors pour fiancée, la mit sur son cheval et partit avec elle. Quand ils passèrent devant le noisetier, les deux petits pigeons s'y trouvaient perchés et crièrent :
Roucou-cou, Roucou-cou et voyez là,
Dans la pantoufle, du sang il y a:
Bien trop petit était le soulier;
Encore au logis la vraie fiancée."
Le prince regarda le pied et vit que le sang coulait de la chaussure et teintait tout de rouge les bas blancs. Alors il fit faire demi-tour à son cheval, et ramena la fausse fiancée chez elle.
Ce n'est toujours pas la bonne, dit-il, n'avez-vous point d'autre fille?
-Non, dit le père, il n'y a plus que la fille de ma défunte femme, une misérable Cendrillon malpropre, c'est impossible qu'elle soit la fiancée que vous cherchez.
Le fils du roi dit qu'il fallait la faire venir, mais la mère répondit :
-Oh non! la pauvre est bien trop sale pour se montrer.
Mais il y tenait absolument et on dut appeler Cendrillon. Alors elle se lava d'abord les mains et le visage, puis elle vint s'incliner devant le fils du roi, qui lui tendit le soulier d'or. Elle s'assit sur un escabeau, retira son pied du lourd sabot de bois et le mit dans la pantoufle qui lui allait comme un gant. Et quand elle se redressa et que le fils du roi vit sa figure, il reconnut la belle jeune fille avec laquelle il avait dansé et s'écria :
- Voilà la vraie fiancée!
La belle-mère et les deux soeurs furent prises de peur et devinrent blêmes de rage. Quant au prince, il prit Cendrillon sur son cheval et partit avec elle. Lorsqu'ils passèrent devant le noisetier, les deux petits pigeons blancs crièrent :
"Rocoucou, Roucou-cou et voyez là,
Dans la pantoufle, du sang plus ne verra
Point trop petit était le soulier,
Chez lui, il mène la vraie fiancée."
Et après ce roucoulement, ils s'envolèrent tous deux et descendirent se poser sur les épaules de Cendrillon, l'un à droite, l'autre à gauche et y restèrent perchés.
Le jour où l'on devait célébrer son mariage avec le fils du roi, ses deux perfides soeurs s'y rendirent avec l'intention de s’insinuer dans ses bonnes grâces et d'avoir part à son bonheur. Tandis que les fiancés se rendaient à l’église, l’aînée marchait à leur droite et la cadette à leur gauche : alors les pigeons crevèrent un oeil à chacune celles. Puis, quand ils s'en revinrent de l'église, l’aînée marchait à leur gauche et la cadette à leur droite : alors les pigeons crevèrent l'autre oeil à chacune d'elles. Et c’est ainsi qu’en punition de leur méchanceté et de leur perfidie, elles furent aveugles pour le restant de leurs jours.
جيل | جنس | مدينة | دول |
---|---|---|---|
100 سنة | إمرأة | ||
النجم المفضل | الموسيقى المفضلة | الفيلم المفضل | الوجبة المفضلة |
اللون المفضل | ألعمل الذي احلم به | برنامج التلفزيون المفضل | ألهواية المفضلة |